L'Echo de la Fabrique : 3 juin 1832 - Numéro 32

du cercle que peut parcourir une feuille industrielle, d?après la loi sur la liberté de la presse et le cautionnement.1  

Notre feuille n?est nullement dirigée dans un but politique, et nous avouons avec franchise que le cautionnement ne serait que de 100 fr. que nous ne le déposerions pas ; nous souciant trop peu d?entrer dans de vaines théories, et dans des disputes qui n?ont aucun résultat pour le bonheur des masses. Seulement, si nous y étions forcés par des persécutions injustes ou par des menaces plus injustes encore, alors nous satisferions le fisc, quelle que soit son exigence, et nous parlerions politique, non pas cette politique pleine de mysticisme du Courrier de Lyon, mais bien celle enfin à la portée des masses. Nous pensons que l?autorité judiciaire, dans sa sagesse, nous laissera poursuivre notre carrière, qui n?est et ne sera jamais que de progrès, d?amélioration, d?ordre et de paix ; et, que d?une feuille consacrée aux intérêts industriels on ne cherchera pas, par de petites tracasseries, à en faire une arêne où se débattraient les intérêts des gouvernans et des gouvernés.

Cependant nous croyons devoir dire toute notre pensée à cet égard, et faire connaître ce qui, selon nous, est de la politique pour un journal, et ce qui ne l?est pas, c?est-à-dire, ce qui ne tend qu?à la défense et au développement des intérêts matériels des travailleurs.

Selon nous c?est parler politique que d?attaquer les actes de la haute administration, quand ces actes n?ont aucun rapport avec l?industrie. C?est parler politique, quand on attaque les relations extérieures, quand elles n?ont point trait au commerce. C?est parler politique, lorsqu?on attaque les chambres législatives dans leurs rapports avec le gouvernement. C?est parler politique, lorsqu?on [3.2]met en tableau les listes civiles ; c?est parler politique enfin, que de critiquer ou applaudir les attentats des factions, les haines des partis et les hommes à bouleversement. Mais certes ce n?est pas là notre but ; il est plus beau, plus noble, puisqu?il ne tend qu?à conserver, harmoniser et rendre aux hommes cette sympathie qui n?aurait jamais dû s?éteindre de leurs c?urs.

Mais est-ce faire de la politique, nous le demandons aux hommes justes, que de dire que la chute de lord Grey pouvait entraîner l?Angleterre dans une route de calamités ; que ces calamités allaient peser sur le peuple, c?est-à-dire sur les travailleurs ; que ces calamités, enfin, pouvaient passer le détroit et accabler les travailleurs français ? est-ce faire de la politique que de dire à nos frères d? Angleterre de serrer leurs rangs, comme nous avons fait en juillet 1830, de former des associations, d?opposer légalement la justice et la force à cette force immorale qui voulait les assujettir ? est-ce faire de la politique que de leur dire que leur avenir est le nôtre, que le sort des travailleurs en général était entre leurs mains, et que de leur contenance dépendait le sort des classes industrielles ? car ici, il ne s?agissait pas seulement d?une réforme politique, mais bien d?arrêter l?émancipation industrielle et intellectuelle des travailleurs. Est-ce faire de la politique, quand, après la victoire d?un peuple, victoire légale et qui n?a pas coûté une goutte de sang, nous nous sommes écriés dans notre sainte admiration : Bravo ! Bravo ! nos frères d?Angleterre ? est-ce faire de la politique, enfin, lorsque nous avons dit à ce peuple sublime, que son dernier acte était le complément de la révolution de juillet, qu?il nous avait applaudi et que nous étions pour lui dans l?admiration ? Selon nous, tout ce que nous avons dit ne se rattache qu?aux intérêts industriels ; car nous croyons savoir distinguer dans les gouvernemens, quels partis et quelles couleurs sont favorables ou non à l?industrie et au progrès. Nous, faire de la politique !? Dieu nous en préserve ! notre carrière est assez vaste, et le champ que nous avons à parcourir est parsemé d?assez d?épines sans chercher à nous enfoncer dans le fatras des protocoles. Assez de feuilles, sans la nôtre, en font de la politique, et certes de la bien médiocre.

Nous poursuivrons donc notre route tout industrielle sans aucune crainte. Il n?entre pas dans notre pensée qu?on veuille y opposer des entraves ; mais s?il en était ainsi, nous declarons que nous sommes décidés d?opposer le courage et la persévérance à toute persécution.

A. V.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Antoine Vidal d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
En France, comme en Angleterre, ce fut principalement par des mesures d?ordre financier que les gouvernements tentaient de détourner vers des publications non politiques les besoins de lecture des classes populaires. De véritables « taxes sur le savoir » étaient levées sur les journaux considérés comme politiques : notamment cautionnement et timbre fiscal (voir Pierre Albert, « Presse », in : M. Ambrière, Dictionnaire du XIXe siècle européen, ouv. cit., p. 948-954). Au milieu de l?année 1832 les journalistes de L?Echo de la Fabrique, alors même qu?ils se rapprochent et parfois même coïncident avec l?opinion républicaine, jouent sur l?illusion du ton a-politique du journal : pour éviter censure et procès, mais aussi pour mettre en avant la nouveauté des revendications économiques et sociales des « industriels ».

 

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