L'Echo de la Fabrique : 3 juin 1832 - Numéro 32

ÉCONOMIE SOCIALE.1

Les Singes économistes2, ou qu?est-ce que la liberté du commerce, brochure extraite de la Revue de Vestminster3, et traduite en français par Benjamin Laroche.

Sous ce titre bizarre, la nécessité de la liberté du commerce entre la France et l?Angleterre, est établie d?une manière victorieuse. Persuadé que c?est d?en-bas, et non d?en-haut que doit venir l?impulsion, persuadé qu?un peuple n?est lésé dans ses droits qu?autant qu?il le veut bien, l?auteur dit avec raison que c?est le peuple qu?il faut d?abord éclairer. Pour parvenir à ce but, il emploie l?allégorie d?une troupe de singes dont chacun mange au râtelier de son voisin, ce qui produit une dilapidation complète dont en définitif la masse du peuple singe souffre, sauf un bien petit nombre.

Notre économiste pose un principe vrai, et qui doit servir de préambule à la charte prochaine de l?industrie, comme la déclaration des droits de l?homme et du citoyen a servi de prolégomène à la constitution de 1791, et servira de même à toute constitution vraie. Ce principe est ainsi conçu :

« La richesse et la prospérité nationale consistent dans l?élévation des profits et des salaires de chacun. Donnez donc au plus grand nombre possible des salaires et des profits élevés. »

Ce n?est en effet que de cette manière que la classe prolétaire pourra devenir l?égale de celle qui lui est actuellement supérieure, et que l?égalité sociale fondée sur un bien-être commun, pourra ennoblir notre organisation sociale, en s?introduisant dans nos m?urs. Ce n?est que de cette manière que la plaie hideuse et immorale de la pauvreté disparaîtra, et avec elle les vices de toute sorte, qui lui servent trop souvent de cortège. Alors le riche pourra jouir en paix et sans remords ; le nom de prolétaire ne sera plus un épouvantail, et dès l?instant que tout homme trouvera dans son travail l?aisance à laquelle il a droit, il n?y aura plus de perturbation dans les cités ni dans les états.

Le système de la liberté du commerce, unanimement admis, contribuera puissamment à ce résultat désiré, mais l?auteur, à mon avis, aurait dû prendre son sujet de plus haut, et voici comment je l?envisage.

La liberté du commerce est corrélative à celle des hommes eux-mêmes. Si on ne traite cette question que sous le rapport des convenances nationales, elle présente des difficultés peut-être insolubles ; mais si on l?envisage sous le rapport de la liberté humaine, elle n?en présente plus. Supposez tous les hommes frères comme ils devraient l?être, que l?Angleterre, l?Italie, l?Allemagne, la France et les autres contrées de l?Europe ne soient que de vastes provinces de ce continent, et que l?Europe, à son tour, ne soit elle-même qu?une province du monde, ainsi que l?Alsace, le Dauphiné, la Normandie sont des provinces françaises, et alors croulera l?échafaudage des lois prohibitives. L?alien bill et toutes les lois restrictives de la liberté ne seront plus. L?homme civilisé voyagera d?un pôle à l?autre plus commodément que le sauvage, mais [5.1]avec autant de liberté. On sera Anglais ou Français de la même manière qu?on est Breton ou Lyonnais.

Ce temps approche ! Béranger en a donné le conseil dans une de ses odes inimitables, et M. Cormenin l?entrevoit dans un avenir peu éloigné. L?Europe est en travail d?une civilisation nouvelle, s?écrie ce digne mandataire du peuple français dans sa lettre sur la session de 1831, dont la publication est due à la société : Aide-toi, le ciel t?aidera, et l?avenir nous appartient. »4

Marius Ch......g

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Marius Chastaing d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Les Singes économistes, ou qu'est-ce que la liberté du commerce ? fut publié à Paris en 1832. L?auteur  de ce texte paru initialement dans le volume XII de la Wesminster Review (janvier 1830) était T. Perronet Thompson. Le texte avait été republié en anglais dans son recueil A Catechism on the Corn Laws (1831).
3 Fondée en 1824, la Wesminster Review était l?organe des Benthamites et dirigée alors par Perronet Thompson et J. Bowring. (Frank W. Fetter, « Economic Articles in the Wesminster Review and Their Authors 1824-1851 », The Journal of Political Economy, vol. 70, décembre 1962, p. 570-596).
4 M. Chastaing évoque ici la brochure de Cormenin, Louis-Marie de Lahaye (1788-1868, Vicomte de), Aide-toi, le Ciel t'aidera. Lettre sur la session de 1831 publié à Paris en 1832. La société Aide toi, le Ciel t?aidera avait été fondée sous la Restauration, en 1827, par les Doctrinaires, notamment François Guizot et Pierre-Paul Royer-Collard (1763-1845).

 

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