L'Echo de la Fabrique : 10 juin 1832 - Numéro 33

LE GÉNÉRAL LAMARQUE.1

Le secrétaire du général adresse la lettre suivante aux journaux patriotes de Paris :

Monsieur,

J’accomplis un douloureux devoir en vous adressant quelques détails sur la maladie et les derniers momens du général Lamarque2 : cette page termine dignement une carrière si glorieusement parcourue, et comme celle de Foy3, Manuel4 et Benjamin Constant5, abrégée par la fatigue des luttes parlementaires.

Depuis le commencement de la session, les amis du général remarquaient dans sa santé une altération sensible ; ce fut au sortir de la séance du 9 avril qu’il tomba frappé d’une affection présentant les symptômes de l’épidémie régnante ; on se rappelle avec quelle chaleur, avec quelle énergie le général avait combattu la loi contre les réfugiés étrangers, et cette déplorable discussion a puissamment contribué à développer le germe de la maladie qui l’a conduit au tombeau. Son ambition était de mourir en combattant pour la France, Il regrettait de n’avoir pas été emporté par un boulet de Wagram. Que son ombre se console, c’est pour la France, c’est sur un autre champ de bataille, non moins glorieux, qu’il a épuisé les sources de la vie.

Dès les premiers jours de sa maladie, le général pressentit qu’elle en serait le dénouement, et, tant que dura cette longue et pénible agonie, il montra pour les amis qui l’entouraient, cette sensibilité exquise qui ne peut être bien appréciée que par ceux qui ont vécu dans son intimité. Mais, s’il accordait quelques momens aux souvenirs d’amitié, aux affections de famille, son imagination [3.1]était constamment préoccupée de l’avenir et des intérêts de la France.

Malgré les souffrances dont il était déchiré, plusieurs fois par jour il demandait des nouvelles politiques. Lorsqu’il apprit l’avènement du duc de Wellington au ministère, il laissa échapper ces paroles : Ce Wellington, je suis sûr que je l’aurais battu. Ce n’était pas la première fois que le général exprimait cette pensée, il avait étudié le général anglais, et, depuis la révolution de juillet surtout, il avait souvent émis le vœu de se trouver en face de lui, il avait la conscience de ce qu’il pouvait faire ; poursuivi long-temps par la jalousie tracassière d’une des célébrités de l’empire, rélégué souvent sur un théâtre trop étroit pour son génie militaire, il aspirait au moment de justifier le jugement de Napoléon, qui ne l’apprécia qu’au jour que sa fortune l’avait abandonné.

A l’approche d’une de ses crises, pendant lesquelles il sentait la vie prête à lui échapper, le général se fit apporter l’épée qui, l’année dernière, lui avait été décernée par les officiers des cent-jours : « Mes bons, mes fidèles officiers des cent-jours me l’ont donnée, dit-il en l’embrassant avec émotion, je ne m’en servirai plus. »

J’ai recueilli aussi ces paroles qu’il adressa à son excellent ami le docteur Lisfranc6 :

« Mon bon Lisfranc, vous me connaissez, vous savez que je ne crains pas la mort ; mais j’emporte en mourant le regret de n’avoir pas assez fait pour mon pays ; j’étais encore jeune, j’avais assez de force pour lui rendre des services ; j’ai la conviction que je pouvais lui être utile, les destins ne le veulent pas ! »

Il exprima la même pensée à M. Dumoulin, qui fut son compagnon d’exil, en lui disant : « Je pars, et je pars avec le regret de n’avoir pas vengé la France de ces infâmes traités de 1814 et de 1815. »

Le général se sentant mourir, voulut donner son adhésion au compte-rendu de ses collègues : les journaux ont déjà publié les détails de son entrevue avec M. Laffitte ; l’adhésion d’un tel homme, dans un tel moment, n’est pas un acte d’opposition, c’est une sentence : le pays l’appréciera.

A partir de ce moment, la faiblesse du général devint extrême, il rappela cependant ses forces pour faire ses adieux au général Excelmans7 : Je meurs, lui dit-il en lui serrant la main ; et comme le général Excelmans cherchait à le détourner de cette idée : « Eh ! qu’importe, répliqua-t-il avec toute son énergie, qu’importe, pourvu que la patrie vive ! »

Lors même que le général eut perdu sa connaissance, oe mot de patrie errait encore sur ses lèvres ; il le prononça une dernière fois à dix heures et un quart ; à onze heures il avait cessé de vivre.

Plusieurs fois le général a manifesté le désir que son corps fût transporté à la chapelle d’Eyres, dans les Landes, auprès du cercueil de son père ; il a réitéré deux fois cet ordre à son fils, et a voulu obtenir de lui la promesse formelle que cette volonté dernière serait exécutée ; les amis du général, qui auraient pu désirer voir son tombeau occuper une autre place, sentiront tout ce qu’il y a de sacré dans ce vœu du général Lamarque mourant : ils le respecteront.

La famille du général me charge de donner un témoignage public de reconnaissance aux médecins qui l’ont soigné : s’il avait été humainement possible de conserver ses jours, leur talent, leur zèle, leur accord constamment unanime, l’auraient fait.

Ces médecins sont MM. Broussais, Fouquier, Lisfranc, Renauldin et Lespès.

Le secrétaire du général Lamarque, J. V. Lavallée.

Notes de base de page numériques:

1 L’auteur de ce texte est Antoine Vidal d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Jean-Maximilien Lamarque (1770-1832), grand général de Napoléon, proscrit et mis en non-activité sous la Restauration, député des Landes de 1828 à 1832, signataire de l’adresse des 221 et très populaire au début de la Monarchie de Juillet pour son activisme en faveur de la Pologne et de la Belgique. Louis Blanc a pu écrire : « La popularité du général Lamarque donnait à sa mort une importance particulière. Napoléon expirant l’avait nommé Maréchal de France ; les officiers des Cent-Jours avaient eu en lui un zélé défenseur et les réfugiés un protecteur persévérant ; son nom était gravé dans l’âme de tout polonais fidèle ; la Vendée gardait de son passage un souvenir ami ; le parti démocrate l’avait compté au nombre de ses orateurs… que fallait-il de plus ? Tribun et soldat, il possédait ce mélange de qualités qu’adore la partie vive du peuple français, la partie turbulente et guerrière », Louis Blanc, Histoire de dix ans, vol. 3, ouv. cit., p. 289-290.
3 Maximilien-Sébastien Foy (1775-1825), général napoléonien, député libéral, très hostile aux « Ultras », sous la Restauration.
4 Jacques Antoine Manuel (1775-1827), député de 1815 à 1827 représentant majeur de la Gauche à la Chambre.
5 Benjamin Constant (1767-1830) écrivain et homme politique, l’un des principaux penseurs du libéralisme politique, auteur notamment des Principes de politique applicable à tous les gouvernements représentatifs (1815), député de la Sarthe puis des Vosges à partir de 1819, il cherchera en vain à promouvoir sous Charles X une lecture parlementaire de la Charte.
6 Le docteur Jacques Lisfranc (1798-1848), grand chirurgien, en particulier à l’Hôpital de la Piété.
7 Rémy-Joseph Excelmans (1775-1852), général de Napoléon, proscrit sous la Restauration et nommé à la Chambre des Pairs en novembre 1831.

 

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