L'Echo de la Fabrique : 24 juin 1832 - Numéro 35

Nous lisons dans la Gazette des Tribunaux les réflexions suivantes sur la surveillance, dans les hôpitaux, des blessés des journées des 5 et 6 juin :

« Quoiqu?il ne soit ni dans nos habitudes ni dans nos attributions de faire la guerre à l?autorité, nous ne pouvons cependant pas nous empêcher de réclamer contre une mesure qui vient d?être prise à l?égard des blessés reçus dans les hôpitaux. Non-seulement la police a eu soin de ne pas leur laisser ignorer qu?elle exerçait sur eux la surveillance la plus sévère ; mais à peine donnent-ils l?espoir d?une prochaine guérison, qu?elle les entoure d?une garde qui semble les tenir en arrestation perpépétuelle. Nous avons vu à la Charité un jeune homme, ouvrier tisserand, qui avait reçu plusieurs coups de baïonnettes, soumis à une surveillance de tous les instans ; outre qu?un piquet stationne à la porte de l?hôpital, le blessé convalescent est gardé à vue, dans une pièce particulière, par deux factionnaires. On nous a même assuré qu?il était visité plusieurs fois la nuit par les militaires chargés de le garder. Il y a, dans cette police qui épie tous les progrès de la guérison, et qui semble rappeller sans cesse au coupable le sort auquel il est voué, quelque chose de révoltant.

Quelle que soit la faute ou le crime de ces malheureux, ils ont droit encore à des égards ; leur souffrances sont toujours celles d?un homme, et la loi qui garantit des secours à l?assassin qui se meurt avant l?heure du supplice, ne permet pas qu?on s?oppose, par des actes d?inhumanité, à la guérison de ceux qu?elle n?a pas encore atteints. Or, n?est-ce pas paralyser tous les efforts de l?art que de mettre sans relâche, devant les yeux d?un malade, l?appareil qui doit l?accompagner à la mort ? Il eût été beaucoup plus humain d?enfoncer la baïonnette jusqu?au bout, que de faire mourir lentement le coupable de sa blessure. Nous ne parlons point au figuré. Il est impossible qu?avec l?image constante du supplice devant les yeux, les blessés qu?on garde dans nos hôpitaux ne meurent pas de désespoir ou de terreur. Cela est si vrai que déjà plusieurs blessés de l?Hôtel-Dieu ont été pris de délire à la nouvelle seule des mesures générales qui les menacent. M. Dupuytren1 a cité à sa Clinique le cas d?un individu atteint d?un coup de feu à la jambe, qui est mort en quelques heures, après avoir appris qu?il devait être fusillé.

[7.1]Nous n?indiquerons pas les moyens de suppléer à la surveillance que l?on croit devoir exercer, nous nous bornons à en signaler les graves inconvéniens : il sera facile, si l?on veut, de mettre d?accord les devoirs de la police la plus vigilante avec ceux de l?humanité. »

Notes de base de page numériques:

1 Guillaume Dupuytren (1777-1835), chirurgien et anatomiste français ; ses leçons de clinique seront publiées à Paris, en 1834, sous le titre, Traité théorique et pratique des blessures par armes de guerre.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique