L'Echo de la Fabrique : 6 novembre 1831 - Numéro 2

Il était six heures du soir, le rappel n'avait pas battu, [7.2]et des gardes-nationaux se rendaient silencieusement à leurs places d'armes ; des bruits sinistres avaient couru ; Lyon, cette ville commerçante touchait à sa dernière heure ; les magasins se fermaient ; les mères effrayées couraient après leurs enfans ; chacun cherchait un refuge au sein de sa famille et regagnait le foyer domestique pour attendre avec résignation la fin de la nouvelle Babylone ; la terreur était enfin à son comble… Je sortis de ma demeure, le cœur navré de douleur, ne rêvant que sinistres, et agité par des pensées de mort. En effet, un calme effrayant avait fait place au premier moment de trouble ; les places étaient désertes ; des piquets de gardes-nationaux stationnaient dans l'ombre des rues de la Vieille-Monnaie et des Capucins. Je me dirigeai sur la place des Terreaux : là un appareil militaire annonçait la crainte et les dangers ; des feux étaient disposés pour éclairer les manœuvres militaires et protéger l'Hôtel-de-Ville contre une attaque qui paraissait imminente. Les approches de la place étaient interceptés du côté des rues Puits-Gaillot et Saint-Pierre  ; c'est là que je voulus attendre le dénoûment de cette terrible scène. J'étais prêt, comme un nouveau Décius, à me dévouer pour le salut de ma patrie ; la place était occupée par quelques groupes qui n'étaient rien moins qu'offensifs. Je m'étais placé dans un coin pour être prêt au premier qui vive ! Les heures passaient et le calme régnait toujours. Constant dans mon projet, je voulus attendre encore. Accablé par le sommeil, je m'endormis contre une colonne du théâtre provisoire… Je passai plusieurs heures dans cette situation. Enfin, je fus réveillé par quelques gardes-nationaux qui riaient aux éclats de la manière dont j'occupais mon temps. Eh ! l'ami, me dit l'un d'eux en me secouant, il est minuit, il faut vous retirer !… Je crus que le moment était arrivé et j'étais disposé à me défendre, lorsque je revins de mon erreur en voyant ces messieurs aussi gais qu'ils le seraient un jour de fête. Je leur demandai si tout était tranquille, ils me répondirent : Oui , très-tranquille, car nous allons nous coucher, Tourmenté par la faim et accablé par le sommeil, je regagnai ma demeure, me promettant de ne plus croire aux émeutes et de me défier des bruits sinistres, que je jugerais l'ouvrage de certains agens provocateurs.

Je jurai, mais trop tard , qu'on ne m'y prendrait plus.

 

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