L'Echo de la Fabrique : 13 novembre 1831 - Numéro 3

Un exposé des faits, un mémoire (et nous avouons que nous n'avons pas été assez intelligens pour savoir quel titre lui donner) vient d'être, dit-on, envoyé à Paris, escorté par quelques négocians. Cette pièce, dont l'ensemble est assez insignifiant, même obscur, contient des accusations graves, tant contre les magistrats que contre la classe industrielle de notre cité. L'auteur ou les auteurs de ce mémoire ont écrit pénétrés d'un sentiment de haine, et par conséquent n'ont pu dire la vérité. Nous allons les suivre dans leur digression, et peut-être trouvera-t-on que nous sommes trop indulgens.

Nous lisons au deuxième paragraphe : Que l'ouvrier se crée des besoins factices dans une grande ville ; voilà les auteurs du mémoire pensant que l'ouvrier, semblable au serf des colonies militaires russes, ne doit point trouver d'adoucissement à ses travaux, et que pour eux seuls sont établis les lieux de délices, qui font quelquefois oublier à l'homme et ses peines et son infortune.

Dans ce mémoire on fait un crime de ce que M. l'adjoint Boisset avait fait appeler douze délégués des ouvriers avant que ces derniers eussent pris l'initiative, reconnaissant et sanctionnant par-là leur nomination irrégulière, peut-être factieuse. MM. les délégués des ouvriers devaient aller le lendemain chez M. l'adjoint Boisset ; il est vrai qu'il les prévint, non pas pour sanctionner une nomination, qui certes n'avait rien d'hostile, mais par ce devoir que doit s'imposer tout magistrat vertueux, d'aller au-devant du besoin de ses administrés ; et, d'ailleurs, M. l'adjoint, remplissant les fonctions de maire, ne voyait pas, comme les auteurs du mémoire, des factieux dans quelques chefs d'ateliers, tous pères de famille, qui, dans leur sphère, auraient autant à perdre dans les émeutes que beaucoup de négocians.

Or, disent plus loin les auteurs du mémoire, il est arrivé dans cette occurrence que les fabricans qui, le 31 juillet 1830, n'avaient pas craint les baïonnettes sur la place publique, n'ont pas osé encourir le reproche mal fondé d'inhumanité, et exposer leur existence manufacturière aux ressentimens des ouvriers, en combattant ouvertement leurs prétentions. Voilà un singulier rapprochement ! Mais ces baïonnettes que ces messieurs ont bravées, nous les avons bravées aussi... et nous ne voyons pas quelle analogie il peut y avoir entre quelques régimens qui, certes, montrèrent qu'ils étaient aussi patriotes que nous, et des ouvriers impatiens de savoir s'ils auraient du pain à l'avenir. Il est vrai que les auteurs du mémoire les montrent comme des factieux prêts à tout saccager. Mais, plus loin, on verra que ces messieurs se font eux-mêmes justice.

Les auteurs du mémoire, qui voient partout des rebelles ou des factieux, disent : Les autorités civiles au lieu de dissiper les craintes d'une émeute elles semblaient s'attacher à les entretenir. Voilà une accusation grave ; mais les magistrats sont en paix avec leur conscience. En effet, quel aurait été leur but en prenant un système d'émeutes ? Le fait est que l'autorité savait que les réunions d'ouvriers n'avaient rien d'hostile, et que, confiante dans [5.2]ces masses qu'on nous montre comme prêtes à tout entreprendre, elle ne s'est occupée que de faire le bien et elle n'a pas eu lieu de s'en repentir.

En rendant compte d'une des séances de la Préfecture, les auteurs du mémoire disent encore : que M. le Préfet ne leva pas la séance sans demander en quelque façon excuses aux délégués des ouvriers du retard apporté à leurs désirs. Ce ne fut point des excuses que M. le Préfet adressa aux délégués des ouvriers, mais bien des paroles d'espérance et de paix ; des paroles dignes d'un premier Magistrat dont l'ame est accessible aux misères humaines, afin qu'elles fussent transmises à des milliers d'individus qui attendaient le tarif comme un moyen sûr de ne pas mourir de misère. Ici nous ne réfutons point quelques phrases pleines de mots sinistres : d'ouvriers qui parcourent les quartiers en proférant des vociférations incendiaires... des menaces de mort... Nous n'avons pas pris à tâche de réfuter le burlesque... Nous ne nous arrêterons pas non plus sur les mots de déplorables concessions faites aux ouvriers ; d'un Préfet qui ne permit qu'une chose, la fixation du tarif ; d’une série de choses scandaleuses dont le récit ne peut être que très-imparfait, etc. Nous l'avons déjà dit, ces messieurs n'ont écrit leur mémoire que dans un sentiment de haine et sous l'influence de l’égoïsme déçu. Rien ne doit donc nous surprendre.

L'autorité, disent-ils, doit donc songer à mettre en réserve de quoi nourrir quelques milliers de personnes qui vont se trouver à peu près sans pain à l'entrée de l'hiver. Les pauvres, et certes ces messieurs ont trouvé le moyen d'en rendre la classe assez nombreuse, savent apprécier ce que les magistrats ont déjà fait pour eux, soit en leur distribuant des secours, soit en ouvrant des travaux où ils trouvaient le moyen de gagner de quoi calmer la faim de leurs enfans ; leurs bénédictions est la seule chose qu'ils puissent offrir aux magistrats qui leur ont tendu une main secourable, et elles les suivraient dans la retraite si ces hommes vertueux étaient victimes de la calomnie et de la perversité.

Enfin les auteurs du mémoire disent de la fin de la séance du 25 que M. le Préfet se contenta de descendre dans la cour déjà obstruée par les ouvriers, de leur adresser quelques paroles obligeantes et de les prier de débarrasser les abords de son hôtel ; cette foule docile à la prière du Préfet, qui devint un ordre en passant par la bouche des chefs, se retira, etc. Voilà une foule, qui tout-à-1'heure ne parlait que d'incendie et de mort, devenue docile à la voix du premier magistrat et qui se retire pour attendre avec calme la fin des délibérations. Ces messieurs semblent faire un crime à M. le Préfet de sa popularité, ce sont ces mêmes hommes qui viennent de nous parler de Juillet, qui voudraient qu'un Préfet ne parlât au peuple qu'avec une cravache...

Nous nous arrêtons ici, notre tâche est remplie ; nous ne cherchons point à défendre les magistrats, ils sont au-dessus des attaques de quelques égoïstes ; nous avons passé rapidement sur les faits parce que nous n'avons vu qu'allégations fausses, contre-sens et calomnies ; nous livrons le mémoire et ses auteurs, non point à la haine, nous en sommes incapables, mais au mépris du public.

 

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