L'Echo de la Fabrique : 22 juillet 1832 - Numéro 39

JURISPRUDENCE USUELLE.1

des locations. (Suite.)

de l?occupation.        

Troubles apportés à la jouissance. Il est rare que des tiers viennent troubler un locataire dans la jouissance des lieux à lui loués. Si cela arrivait, de deux choses l?une : ou ce trouble ne serait qu?une rixe entre le tiers et le locataire ; alors ce dernier doit employer les voies légales de la police ou des tribunaux pour faire cesser ce trouble ; ou bien le locataire se prétend propriétaire de tout ou parties desdits lieux loués : alors le locataire doit dénoncer ce trouble au propriétaire et il a droit à une diminution proportionnée sur le prix de son bail, mais il doit bien avoir soin de signifier de suite ce trouble, autrement il perdrait son droit à cette diminution.

Le même droit de résiliation de bail appartient au locataire s?il n?existe dans la maison aucuns lieux d?aisance, parce que sans cela, une maison n?est pas habitable. Il en serait de même, mais plus difficilement, si la maison est privée de pompes ou puits ; à moins que dans une circonférence peu éloignée, il existe, soit une pompe commune, soit une fontaine publique.

Cette dénonciation doit être faite par exploit d?huissier : le propriétaire en remboursera le coûti

Pendant la durée du bail, il peut y avoir lieu à des réparations. Elles sont de deux natures : 1° grosses réparations ; 2° réparations locatives. Les premières sont à la charge du propriétaire ; les secondes à la charge du locataire. Nous en parlerons après avoir traité des obligations du locataire.

[7.2]Le locataire doit :

1° User de la chose louée en bon père de famille, sans faire ni souffrir qu?il soit fait aucune dégradation ;

2° En user suivant la destination qui lui a été affectée par le bail ;

3° Garnir les lieux loués de meubles suffisans ;

4° Payer le prix aux termes convenus.

User en bon père de famille. Je n?ai pas besoin de définir ce que la loi entend par bon père de famille : tout le monde connaît et comprend cette locution. Celui-là n?est pas bon père de famille qui, par une conduite déréglée et brutale, trouble la paix du voisinage, nécessite l?intervention de la police. Il n?est pas non plus bon père de famille celui qui ouvre sa maison à des débordemens publics contraires à la morale. Dans une acception beaucoup plus restreinte, il n?est pas sans reproche le père de famille qui, soit par lui, soit par sa famille (et l?on renferme dans ce terme générique la femme, les enfans, les compagnons, ouvriers et domestiques), détériore la chose qu?il tient à bail et pour laquelle il remplace le propriétaireii. Ce dernier a, dans ces divers cas, suivant leur gravité, le droit de demander en justice l?expulsion de son locataire et la résiliation du bail, avec dommages-intérêtsiii.

User suivant la destination. Il est aisé de concevoir que le locataire n?a pas le droit de changer la destination des lieux loués ; il est facile de le prouver,

Un propriétaire loue une boutique à un orfèvre. Ce dernier peut-il avoir le droit de changer de profession, et de construire un four ou une forge, etc. ? Non, pour deux raisons ; la première relative au propriétaire. Il a pu avoir des raisons pour que son locataire exerçât soit un état de luxe, soit un état peu bruyant ; d?ailleurs il a loué à un individu exerçant telle profession, et non telle autre. La seconde relative aux voisins. Le propriétaire peut être convenu avec eux de ne pas introduire un locataire dont la profession serait en concurrence avec la leur.

Il est bien entendu que le locataire qui a dans son bail la permission de sous-louer, ne peut pas davantage sous-louer à quelqu?un exerçant une industrie opposée à la sienne, que changer lui-même de profession. Ce paragraphe mérite une explication ; et l?on peut demander si par exemple un orfèvre peut se mettre horloger ou sous-louer à un horloger. La solution de cette question ne peut être faite que d?après les circonstances. Nous pensons que la profession étant analogue, il ne peut y avoir d?empêchement qu?autant que cela nuirait à un voisin de la même maison, exerçant cette même profession ; en ce cas le propriétaire a le droit de s?y opposer : il en est de même pour toutes les autres professions. Ainsi, deux règles générales qu?on ne peut enfreindre ni directement ni indirectement, par soi-même ou par voie de sous-location.

On ne petit substituer un état bruyant à une profession paisible, on ne peut faire concurrence à un autre locataire dans quelque état que ce soit, sans le consentement du propriétaireiv qui est libre de le donner ou de le refuser.

Par une même raison, le locataire qui, dans le bail, a pris la qualité de rentier ou s?est dit exercer une profession [8.1]quelconque, et qui sous-loue à des filles publiques, change la destination des lieux loués, et doit être expulsé sur la demande du propriétaire. Si cette sous-location n?a pas été faite directement par lui, mais à un tiers qui introduit des filles, il n?en est pas moins responsable vis-à-vis du propriétaire, faute par lui de faire cesser cet état de chose, sur la dénonciation qui lui en est faite par exploit d?huissier ; autrement la fraude serait facile, puisqu?il pourrait sous-louer à un homme de paille qui ne serait que son prête-nom.

Les locataires, quoique incommodés par un pareil voisinage, n?ont pas le droit de demander cette expulsion ; ils peuvent seulement, s?ils ont un bail antérieur, demander contre le propriétaire la résiliation de leur bail, après l?avoir mis en demeurev. Nous observerons néanmoins que cette résiliation est laissée à la discrétion des juges qui consultent à cet égard les lieux et la position des parties. Ils peuvent aussi s?adresser à la police, en cas de bruit ; mais elle n?est pas tenue de faire droit à leur réclamation.

(La suite au prochain N°.)

Marius Ch.....g.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Marius Chastaing d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

Notes de fin littérales:

i On appelle coût, en style de palais, le montant total d?un acte, lequel se compose, 1° des déboursés ; 2° des honoraires attribués à l?officier ministériel pour cet acte.
ii Personne n?ignore que le père de famille est civilement responsable des fautes que commet sa famille, et la famille se compose de tous les individus dont nous avons parlé dans le présent paragraphe.
iii Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais qui te fût fait, ne alteri feceris quod non tibi vis fieri.
iv Le locataire dont la profession craint la concurrence, doit faire stipuler dans son bail que le propriétaire ne pourra louer a aucun autre individu de sa profession. S?il ne l?a pas fait, il a cette faute à s?imputer.
v On appelle mettre en demeure, signifier par huissier un acte extrajudiciaire, portant sommation de faire telle ou telle chose. Cet acte précède toute instance, mais il n?en fait pas partie, ce qui fait qu?on le nomme extrajudiciaire, c?est-à-dire hors jugement.

 

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