L'Echo de la Fabrique : 26 août 1832 - Numéro 44

Nous pensons que M. Blanqui, directeur de l?école spéciale du commerce de Paris, a envisagé sous son véritable point de vue, la collision qui a existé dans le mois de novembre dernier, entre les marchands-fabricans et les ouvriers. Nous extrayons le passage suivant de son discours prononcé le douze de ce mois, en présence de MM. Laffitte et Jullien, à une séance publique qui a eu lieu pour la distribution des diplomes.

« Entre ces fabricans qui ne peuvent travailler à perte, et leurs salariés qui demandent à ne pas mourir de faim, n?y a-il pas lieu à intervenir ? la législation n?a-t-elle rien à dire ? les économistes du gouvernement rien à faire ?

« Oui sans doute, messieurs, la science seule peut résoudre de telles questions, auxquelles la politique est tout-à-fait étrangère ; et l?erreur du gouvernement, quelle que soit la loyauté de ses intentions, est d?avoir supposé que la force suffisait pour les mener à bonne fin. Les ouvriers de Lyon souffraient parce que les soieries suisses coûtent moins que les nôtres, non parce que les Suisses sont plus habiles, mais parce qu?avec un salaire moindre ils peuvent faire vivre plus aisément leurs enfans. En France, lorsqu?un ouvrier qui a gagné 30 sous par jour se dispose à appliquer son revenu de la journée à l?entretien de sa famille, il rencontre le fisc, l?inexorable fisc, qui partage avec lui, ou plutôt qui se fait la part du lion. Il lui faut d?abord payer l?impôt du sel, puis l?impôt des boissons, puis l?impôt du tabac, puis celui de la viande, et puis celui du pain, en vertu d?une législation des céréales, qui ne laisse vraiment entrer le blé étranger que lorsque nous commençons à mourir de faim. Je ne vous parle pas de l?impôt du sucre, ni de celui du café, ni de tant d?autres droits établis sur les denrées que ces énormes taxes ne permettent guère au pauvre de consommer.

« D?un autre côté, le manufacturier, dont les impôts ne sont pas l?ouvrage, ne peut pas payer à l?ouvrier un salaire proportionné à leur énormité, sous peine de perdre ses acheteurs, attirés ailleurs par des prix plus modestes. Lui-même souffre, sous d?autres rapports, des taxes qui accueillent à leur entrée les marchandises étrangères, et qui font frapper les nôtres de représailles. Les Brésiliens, dont vous taxez outre mesures et les cafés et les sucres, ne peuvent payer vos soies qu?en sucres et en cafés, de telle sorte que le remède au malaise de Lyon, était peut-être dans la réduction du tarif des denrées coloniales, auxquelles personne ne songeait. En attendant, la Suisse, produisant à meilleur compte que la France, dispose peu à peu les acheteurs à négliger nos marchés, qu?ils abandonnent pour suivre les [2.2]siens ; et nous sommes surpris d?apprendre que la réputation des ouvriers de Lyon et le prix plus élevé de leurs salaires ne suffisent pas pour leur assurer des débouchés qui nous sont ravis par un peuple moins avancé, moins bien payé, et néanmoins plus heureux. Ce n?est donc ni aux ouvriers de Lyon, ni aux manufacturiers, qu?il appartenait de résoudre le problème de la conciliation de leurs intérêts respectifs, mais à la législature nationale. C?était un cas d?enquête, une question grave, qui méritait d?être examinée avec talent et sollicitude, et dont je me suis borné à vous indiquer toute la profondeur. »

 

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