L'Echo de la Fabrique : 2 septembre 1832 - Numéro 45

LYON.1

F...t

On lit dans le Nouvelliste2 l’article suivant, que nous croyons devoir rapporter en ce qu’il exprime son opinion et celle du Temps, journal consciencieux, sur les causes de la misère de notre cité : nous le ferons suivre de nos réflexions.

du malaise des masses.

« Si l’on vous dit : une population s’émeut parce que les vivres sont trop chers, les loyers sont trop chers, et l’ouvrage, dont, au surplus, on ne manque pas, est payé à prix trop bas, répondrez-vous comme le journal le Temps : c’est que le gouvernement met trop de troupes à Lyon, car c’est de Lyon qu’il s’agit, et que ces troupes, qu’il faut nourrir, font soutenir haut le prix des denrées : c’est que le gouvernement ne favorise pas les constructeurs de maisons.

Ne direz-vous pas, au contraire, avec nous :

C’est que les terres en friche qui couvrent le sol de la France ne produisent ni travail ni denrées !

[1.2]A qui la faute ? – A ceux qui ont l’initiative des lois : pourquoi laissent-ils posséder par l’état et par les communes, qui n’en retirent rien ou à peu près, des trésors qui enrichiraient l’état et les populations ?

Tout le monde veut tisser du coton ou de la soie, parce qu’à un prix ou à un autre l’on est presque toujours sûr d’avoir de l’ouvrage ; mais quand on pourra ouvrir des travaux agricoles, quand ces travaux seront avantageux au possesseur du sol, ils le seront à l’ouvrier, et l’ouvrier sortira des villes manufacturières pour venir dans les fermes aider à produire du pain, de la viande, des chevaux, de la laine, du sucre, etc.

Ne craignez pas que vos cités restent désertes, les populations se nivelleront, ainsi que le prix de main-d’œuvre, et voilà tout. La main-d’œuvre des tisserands haussera quand il y aura moins de tisserands, c’est possible ; mais alors vous vous ingénierez, et vous doublerez la puissance de vos machines. Vous ne demanderez plus aux hommes que de l’intelligence, vous les payerez plus cher, et vous, vous gagnerez plus d’argent, et puis vous aurez du repos !

Nous autres agriculteurs, nous vous fournirons des denrées à bon compte, car nous produirons beaucoup avec peu de dépenses ; nous vous fournirons la soie à plus bas prix, la laine à plus bas prix, le sucre à plus bas prix, et le pain ! Le pain ne vous viendra plus de la Crimée, à moins que la Crimée ne veuille l’échanger contre nos autres produits.

Avec des matières premières à bas prix, vous couvrirez l’Europe de vos marchandises, et ne craindrez nulle part la concurrence.

Ces idées sont belles, me dira-t-on ; mais comment les réaliser ? Avec de bonnes lois sur l’aliénation des biens communaux, avec le percement des routes et des canaux, avec des récompenses nationales aux hommes qui se dévouent aux intérêts agricoles, avec l’instruction populaire, avec la marche franche et loyale que nous devons attendre du gouvernement, quand le gouvernement ne sera plus tiraillé, entravé par les partis. »

[2.1]Certainement ces idées sont belles et grandes, défricher les terrains incultes, semer la France de routes et de canaux, c’est bien là une partie de ce qu’il faudrait faire pour améliorer le sort de la classe la plus pauvre et la plus nombreuse ; car, en y ajoutant une plus juste répartition des impôts, et en changeant le système d’élections devenu à juste titre si impopulaire par la raison qu’il n’a jamais formé une chambre qui entendît les vrais intérêts de la France, par suite de l’état de minorité où le commerce et l’industrie y ont toujours été, on arriverait sans doute à des résultats qui nous procureraient un avenir plus heureux.

Nous croyons aussi que si le gouvernement avait suivi cette route progressive d’amélioration les patriotes n’auraient jamais songé à faire de l’opposition : car, aujourd’hui, il nous semble que tout le monde doit être éclairé sur notre position sociale, et voir que toute la politique consiste à tirer les masses de l’état de misère où elles sont descendues, à les relever et à les encourager par l’instruction, afin qu’elles ne soient plus, par leur crédulité, victimes de l’ambition machiavélique de l’aristocratie ancienne, et cessent d’être exploitées par l’aristocratie financière. Les véritables patriotes ne peuvent avoir d’autre but.

Tout en approuvant ce qui nous paraît bon dans le système social du Nouvelliste, nous croyons, étant à même de juger de près, devoir en relever quelques erreurs que le Temps n’avait pas commises ; d’abord, personne ne nous contestera qu’une nombreuse garnison dans une ville manufacturière très-peuplée, ne soit une cause de la cherté des denrées de première nécessité ; cette vérité a été reconnue dans tous les temps. Lyon n’a eu à aucune époque une aussi forte garnison, que celle qu’elle a en ce moment, nous ne savons pourquoi.

Ensuite : tout le monde, dit le Nouvelliste, veut tisser du coton ou de la soie, c’est également une erreur ; car, aujourd’hui, une grande partie des tisseurs sont tellement découragés, qu’ils ne continuent d’exercer cette profession, que parce qu’il leur est moralement impossible d’en changer ; il n’y a que les garçons qui n’ont point d’établissement qui peuvent reprendre l’agriculture.

Quant à la concurrence étrangère, elle n’existe pas pour les trois quarts des produits de nos fabriques, nous l’avons déjà prouvé ; elle n’existe que pour quelques articles unis, et les acheteurs en général, préfèrent encore acheter à Lyon, étant servis promptement, et pouvant completter des assortimens en tous genres. La concurrence qui existe à Lyon n’est que locale : tous les fabricans de bonne foi en conviennent eux-mêmes aujourd’hui, en disant que le mal de notre fabrique est qu’ils sont trop nombreux ; et qu’une partie d’entre-eux n’ayant pas les fonds convenables pour un commerce, sont obligés d’emprunter, et par cette raison, de spéculer sur la misère des ouvriers, et dans des cas pressans qui se représentent trop souvent ; ils sont obligés de vendre au-dessous des prix, ce qui en causant un préjudice immense à leurs confrères, fait baisser les cours ; et on conviendra également avec nous, qu’une semblable concurrence, qui force nos fabriques à exporter nos productions à vil prix, prive notre ville et la France entière, de quelques millions de bénéfices toutes les années. C’est là la plaie qui nous ronge de près, et qui a fait depuis quelques années tomber notre population industrielle dans la misère où elle est plongée. Les idées du Nouvelliste, quelques bonnes qu’elles puissent être, ne sont pas le remède unique applicable à nos maux.

Dieu veuille que les hommes placés au timon des affaires, comprennent une aussi triste position en se [2.2]rappelant quelquefois les moyens employés par le grand homme, pour la faire prospérer, et surtout en rendant l’aisance à la population de notre ville, comme elle la possédait sous son règne.

F...t.

Nous avons reçu sur ce même article du Nouvelliste, des observations par M. Bouvery, que nous n’avons pu insérer dans le présent numéro ; nous ferons en sorte de leur donner place dans le numéro prochain.

Notes de base de page numériques:

1 L’auteur de ce texte est Joachim Falconnet d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Il s’agit probablement du journal Le Nouvelliste [« puis » Journal politique du soir et du matin ; Propagateur des doctrines constitutionnelles] dont la première série fut publiée de février 1832 à juin 1833.

 

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