L'Echo de la Fabrique : 2 septembre 1832 - Numéro 45

du travail et de la noblesse du peuple.

L?unique ressource et le grand levier des sociétés humaines, c?est le travail. Lui seul peut les faire triompher dans les luttes pénibles et constantes, qu?elles ont à livrer à la nature. C?est par lui que sont défrichées les [4.2]terres incultes, ouverts les canaux, tracées les routes, exploitées les mines : c?est par lui que sont créés tous les produits de l?industrie, que nos maisons sont construites, que nos vêtemens sont tissés, que nos alimens sont préparés : c?est lui qui dans un ordre plus élevé fait avancer les sciences et les arts. Sans lui l?humanité ne saurait vivre ; sans lui la société n?existerait point. Partout nous le voyons dans ce qui nous entoure, dans ce qui nous sert : il se présente sous mille formes diverses : il s?applique à tout, depuis la plus grossière transformation de la matière, jusqu?aux productions les plus délicates de l?intelligence.

Le travail est l?élément premier, l?élément indispensable de la société et de la civilisation ; et par cela même il en est aussi le plus noble. Sans lui, point de jouissance, et sans lui, point de gloire. Les grands peuples sont précisément ceux qui ont le plus travaillé ; et sous nos yeux nous pouvons le voir, si l?Espagne et l?Italie sont tombées si bas, c?est que là les peuples, abrutis par un funeste despotisme, sont plongés dans la paresse et dans l?indolence.

Les Français, les Anglais, les Américains, ne l?emportent sur les autres peuples que parce qu?ils sont les plus laborieux, les plus travailleurs de tous.

Ce qui est vrai de peuple à peuple ne l?est pas moins d?homme à homme, d?individu à individu. Parmi nous, qui estime l?homme oisif, si ce n?est des hommes oisifs et paresseux comme lui ? Dans cette société où le hasard nous a placés, mais dont nous recevons tant de bienfaits, malgré les désordres et les vices nombreux qu?y entretiennent si souvent les mauvais gouvernemens, chacun de nous doit tâcher de payer sa dette le plus largement qu?il peut. Par l?association des hommes, chacun d?eux reçoit en partage la puissance de tous, et jouit de leur travail. Il aura beau faire, il aura beau travailler, il ne pourra jamais rendre à la société autant qu?elle lui donne ; mais il est juste, il est noble à lui de tâcher de s?acquitter dans la proportion de ses forces.

Le plus laborieux est donc en même temps le plus utile et le plus digne de tous les citoyens : car, en travaillant pour la société, il l?a servie avec profit pour elle comme pour lui, et de plus, il s?est libéré, du moins en partie, de la grave obligation qu?il avait contractée envers elle.

Voilà pourquoi, de tout temps, dans tous les pays, cette portion de la société que l?on nomme le peuple, est la plus importante et la plus respectable. C?est elle qui, par sa force et par son nombre, accomplit tous les travaux sans lesquels la société ne pourrait être. C?est la base, l?inébranlable fondement de la société, sur lequel tout repose, avec lequel tout s?affaisse, quand il chancelle ou vient à manquer.

Nous le demandons à tout homme qui travaille, que ce soit de ses bras ou de sa tête, le travail n?est-il pas pour lui une source constante de jouissance, de bonheur et de dignité, quand il vient à réfléchir sur son ?uvre et qu?il comprend pourquoi et comment il l?a produite ? Eh bien ! c?est là le sentiment qui doit soutenir le peuple et lui donner bonne espérance. Dans son c?ur, tout homme qui travaille doit se sentir au-dessus de celui qui ne fait rien ; et malgré tous les abus sociaux qui ont si inégalement réparti le travail et les jouissances, le citoyen laborieux peut se dire qu?il s?estime, qu?il a pour lui le bon droit, et que tôt ou tard le jour de l?amélioration doit venir ; car dans le mouvement qui pousse et fait sans cesse avancer la société humaine, il est évident que le progrès tend toujours vers le mieux, et que l?humanité devient plus heureuse à mesure qu?elle vieillit.

[5.1]Le peuple, aux yeux de la raison et de la justice, n?est souverain que parce qu?il travaille. C?est lui qui fait vivre la société, il est juste que se soit lui qui la domine. La souveraineté du peuple n?a pas d?autre source, quand on veut y regarder de près ; et cela est si vrai, que nul n?a contesté la souveraineté du peuple que parmi les gens oisifs, ou, comme ils disent, de loisir. L?homme qui travaille et qui conçoit ce que c?est que le travail, n?aurait jamais pensé à livrer ses affaires à l?homme inutile et souvent dangereux, qui se repose et jouit de la fortune, comme si ses pères qui la lui ont transmise, avaient pu le dispenser de travailler à son tour, et comme si sa dette de travail n?était pas d?autant plus forte qu?il a une plus large part aux avantages sociaux.

La religion chrétienne, le dogme chrétien a eu ce grand tort de représenter le travail comme une punition imposée par le ciel à l?humanité déchue. Le travail n?est ni un châtiment ni une honte : le travail est une gloire et un bonheur. Le peuple n?est grand, le peuple n?est digne que parce qu?il travaille. La souveraineté a été proclamée en principe, comme une grande et sublime vérité que l?on aperçoit, mais qu?on ne comprend pas bien encore. Le moment approche où ce principe sera réalisé et constitué dans toutes ses applications : ce sera le jour, si long-temps attendu, si ardemment désiré, le jour de bonheur pour le peuple. Jusque là il pourra languir dans la souffrance et la misère, malgré sa noblesse ; mais au milieu de ses maux, il a du moins pour lui soutenir le c?ur, le sentiment de ce qu?il vaut, de ce qu?il est.

g. ad.

 

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