L'Echo de la Fabrique : 20 novembre 1831 - Numéro 4

On lit dans le National1 l'article suivant :

« Quand les manufactures anglaises commencent à souffrir de la suspension des commandes, ce sont les fabricans d'articles de modes qui ressentent les premiers effets de la stagnation des affaires. Les ouvriers en ce genre sont nombreux à Coventry2et dans le voisinage. Nous voyons que les maîtres cherchent à baisser les salaires, et que les ouvriers prennent avantage de l'effervescence des esprits pour s'opposer à ces réductions. Les craintes qu'on fait naître le bill de réforme3, et les conséquences de son rejet, ont d'abord produit une suspension dans les commandes. Le choléra est venu accroître le mal. Dans les années précédentes, les ouvriers anglais ont supporté avec patience le manque de travail et la détresse qui viennent les frapper périodiquement, et il n'a éclaté parmi eux du tumulte et des séditions, que lorsque la famine est devenue extrême. Aujourd'hui, on ne peut attendre d'eux une semblable patience : la fermentation politique les a gagnés, et dans le refus que l'aristocratie a fait de toute réforme, ils ont un drapeau qu'ils ne peuvent manquer d'arborer.

Le choléra-morbus exercera sans doute de grands ravages dans les villes manufacturières, dont les populations ont un genre de vie insalubre, et sont accoutumées à une alimentation pernicieuse, circonstances qui ont été toujours funestes, sans l'influence de ce dernier fléau. Bien qu'on ne puisse prévoir les conséquences qu'amènera cette combinaison d'une épidémie physique et morale, l'avenir est alarmant : car ces deux causes peuvent agir d'une manière telle, qu'elles trompent les espérances et déjouent les mesures les plus sages du gouvernement.

En présence de ce double danger, l'espoir du pays, et l’on peut dire de l'administration, repose tout entier dans ces associations, ou unions politiques, qui se sont formées sur toute l'Angleterre ; et le ministère, quelques craintes qu'elles puissent lui inspirer, a été au moins assez sage pour n'en rien témoigner. Les journaux ministériels s'abstiennent d'user à leur égard d'un langage de blâme ou de défiance, et les considèrent sous le même point de vue que les journaux qu'on regarde comme les organes de l'opinion publique. A Londres seulement, les unions politiques ont amené des dissentions, et il faut attribuer ce résultat à cette fatale séparation de classes en riches et pauvres, artisans et gentlemen, séparation qui est surtout marquée dans une capitale. Elle existe aussi, quoiqu'à un moindre degré, dans les comtés ; mais, dans les grandes villes manufacturières, le lien est fort entre le maître et l'ouvrier ; le riche et le pauvre se connaissent, ce qui suffit pour produire des égards mutuels. Il y a d'ailleurs des rapports de dépendance réciproque entre eux, et c'est pour cela que nous ne [5.2]voyons pas à Birmingham et dans le nord cette jalousie entre l'artisan et son riche voisin, qui a divisé en deux camps l’union politique de Londres.

Dans les campagnes d'Angleterre, la formation d’unions politiques rencontrerait les mêmes obstacles et aurait les mêmes dangers que dans la capitale. Là, le paysan et le propriétaire ne pourraient s'entendre un seul instant. »

- On nous écrit de Châlons-sur-Saône, 10 novembre.
Samedi dernier a eu lieu l'ouverture solennelle de l'école gratuite d'enseignement mutuel, fondée par cette ville, en remplacement des frères de la doctrine chrétienne.

- La jeunesse d'Upsal a célébré une grande fête mortuaire en l'honneur des Polonais4 ; les professeurs et le commandant de la province y ont assisté.

Notes de base de page numériques:

1 Le National fut publié à partir de janvier 1830 à l’initiative de Thiers, Mignet et Armand Carrel. Résolument libéral, il devient rapidement sous la direction principale de Carrel un organe républicain de plus en plus hostile au gouvernement Casimir Périer. Référence : C. Bellanger, J. Godechot, P. Guiral, F. Terrou (dir.), Histoire générale de la presse française, ouv. cit. , en particulier, tome 2, 2e partie.
2 John Prest, The industrial revolution in Coventry, Oxford, UP, 1960. Sur la production de soierie en Angleterre, Frank Warner, The Silk Industry of the United Kingdom. Its Origin and Development, London, 1921.
3 Le Reform Bill de juin 1832 modifiera radicalement la carte électorale en Angleterre. Il consista en une redistribution des sièges du Parlement en faveur des villes industrielles et permis également l’ouverture du vote à de nouvelles catégories sociales. L’électorat fut multiplié par deux en Angleterre, en Irlande et au Pays de Galle, par quinze en Ecosse. Voir Elie Halévy, Histoire du peuple anglais au 19e siècle, vol. III, De la crise du Reform Bill à l’avènement de Sir Robert Peel (1830-1841), Paris, Hachette, 1923.
4 En novembre 1830, impulsé par les officiers et les aspirants, une insurrection avait éclaté en Pologne pour secouer le joug russe. Le gouvernement national fut rapidement créé et une Diète détrôna Nicolas 1er. La guerre polono-russe qui suivit tourna à l’avantage de Nicolas 1er. Une forte répression s’abattit sur la Pologne où le général russe I. Paskiewicz fut nommé régent et on assista parallèlement à une forte émigration polonaise notamment vers la France, l’Angleterre et la Belgique. Référence : Hanna Dylagowa, « Pologne », in : M. Ambrière (dir.), Dictionnaire du XIXe siècle européen, ouv. cit., p. 927-931.

 

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