L'Echo de la Fabrique : 20 novembre 1831 - Numéro 4

CONSEIL DES PRUD'HOMMES.

Séance du 17 novembre.

Depuis long-temps on n'avait vu une affluence aussi considérable. Cinquante causes au moins devaient être appelées. Le président ayant ouvert la séance, et la première cause n'étant pas présente, s'emporta en disant : Que s'était un scandale de voir tant de monde, qu'il donnait sa démission, et leva la séance. MM. les membres du conseil se retirèrent dans la pièce voisine, M. le président, s'avançant près de la balustrade, répéta encore une fois que c'était un scandale que ce tumulte (personne ne disait mot), qu'il allait faire évacuer la salle.

Revenu à des voies plus douces et plus conciliatrices, M. le président, s'adressant au public, dit que, dans l'intérêt général, il voulait présider la séance et l'ouvrit de nouveau.

Les causes qui ont été débattues dans cette séance et ont offert le plus d'intérêt, sont les suivantes :

Les sieurs Colonnel et Arnaud réclament du sieur Signé-Fatin, un prix de leurs châles, fond satin, conforme au prix des autres négocians, qui ont pris pour base le tarif, ne pouvant pas continuer de faire travailler, s'ils n'ont pas un prix fixé, étant forcés de payer leurs ouvriers au tarif. Le sieur Signé-Fatin prouve que son article n'y est pas suffisamment détaillé, que les châles qu'il fait fabriquer sont de plusieurs genres, et varient de compte à la chaîne, de 90 à 150 portées ; il demande que le conseil nomme des experts pour reviser l'article, et les chefs d'ateliers ont aussi fait observer que leurs ouvriers ne voulaient plus travailler, s'ils n'étaient payés au tarif. Le président fait de suite lecture d'un article de la lettre de M. le préfet au Précurseuri, et il déclare que le conseil ne veut pas prendre l'initiative, que ce n'est pas à lui de reviser le tarif, que l'on n'accordera rien aux demandes des compagnons, que les chefs d'ateliers, qui sont, dit-il, d'un certain poids dans Lyon, puisqu'ils font partie de la garde nationale, réclament auprès de M. le maire, et à M. Bouvery, afin qu'ils fassent convoquer une nouvelle assemblée pour réviser le tarif, que cela ne regardait nullement le conseil, et a invité les parties à se retirer.

[7.1]Le sieur Ginet réclame du sieur Brossette un défrayement ; ce dernier lui ayant promis des pièces de cent aunes et de le continuer long-temps, l'engageant à monter ses mouchoirs. Le sieur Ginet n'ayant reçu qu'une pièce de cinquante aunes, et ayant attendu quatre jours son dessin qui ne lui a produit que 18 francs, et ses frais surpassant de beaucoup ses bénéfices, ne voulut plus continuer l'article : le prix en étant trop minime pour une réduction de 100 coups au pouce, le sieur Brossette a proposé un défrayement de 10 francs ; il a produit ses mouchoirs devant le conseil, qui, ne se trouvant pas suffisamment éclairé pour en fixer de suite le prix, a renvoyé l'affaire pardevant MM. Rousset et Second.

Le sieur Bisay réclamait aussi du sieur Brossette la vérification d'une erreur qui s'était faite sur son livre, à l'égard d'une cheville qui n'avait pas été reçue, et dont le soldé était porté aux prix de la soie. Le conseil a renvoyé l'affaire pardevant M. Etienne pour reviser le livre.

Le sieur Constantin réclame du sieur Goybez un défrayement pour montage de métiers et le prix convenu des rubans qu'il lui a tissés, qui n'ont pas encore été portés en façon. L'affaire a été renvoyée pardevant MM. Second et Rousset.

Une question sur les peluches pour chapeaux s'est encore présentée ; le maître venant de recevoir un poil pour finir sa toile, demandait que le prix de cette dernière coupe lui fût marqué au prix fixé par le tarif. Le président, voulant concilier les parties d'une manière contraire à ses précédens jugemens, a engagé l'ouvrier, son pupille, à travailler au prix marqué sur son livre.

Un grand nombre de causes ont été renvoyées à samedi, et plusieurs négocians ont fait défaut, entr'autres le sieur Gabillot, qui avait quatre causes.

Nous ne pouvons nous empêcher de faire une réflexion bien juste ; c'est que de toutes les salles d'audiences de Lyon, celle du conseil des prud'hommes est une des plus petites ; le plancher est très-bas, il y fait une chaleur insoutenable, et les auditeurs y sont si serrés, qu'il est très-difficile aux personnes qui ont des causes d'arriver jusqu'à la barre. Il nous semble que la classe ouvrière de tous les états qui sont justiciables aux prud'hommes, et qui font les deux tiers de la population de la ville, mériteraient bien d'avoir pour leurs audiences une salle assez vaste pour les contenir ; et nous croyons qu'il ne manque pas à Lyon de local qu'on pourrait consacrer à cet usage. M. le Maire ne se refusera pas à une demande aussi fondée.

P. S. Depuis la dernière séance des prud'hommes, un grand nombre de chefs d'ateliers et d'ouvriers viennent à notre bureau demander des explications sur divers bruits qui circulent. On nous demande s'il est vrai que le conseil des prud'hommes ait déclaré le tarif nul et non avenu ; s'il est vrai qu'il soit arrivé de Paris des ordres portant que le tarif ne doit point être exécuté ; nous avons repondu et nous répondons à ceux à qui cela [7.2]cause de l'inquiétude, que ces bruits sont faux ; que si quelques négocians tenaces ne veulent point s'y soumettre et cherchent tous les moyens d'exaspérer la population, les chefs d'ateliers et les ouvriers, forts de la justice de leur cause, doivent persister dans l'exécution de ce tarif consenti par MM. les négocians. Mais ils doivent persister avec calme, car nous ne saurions leur prêcher que l'amour de l'ordre et la modération.

Notes de fin littérales:

i Voir le Precurseur de mardi, 1515 novembre 1831 courant.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique