L'Echo de la Fabrique : 30 septembre 1832 - Numéro 49

AU MÊME.

Monsieur,

Parmi les nombreux abus qui existent, il y en a de moins ou de plus funestes ; celui que je viens vous signaler est du nombre des derniers. Le fait parle assez de lui-même ; toute réflexion de ma part serait inutile.

Chaque année, à une certaine époque, des affiches annoncent la vaccination gratuite1 dans les divers hôpitaux de la ville. Une malheureuse mère de famille crut qu’il suffisait de se présenter avec son enfant pour qu’il fût vacciné. Mais non : on lui demanda cinq francs pour garantie que dans huit jours elle se présenterait de nouveau afin que l’on pût prendre du vaccin sur son enfant. Cette malheureuse femme n’avait que deux francs qui [5.1]devaient la faire vivre pendant ces huit jours… elle les offrit ; – on les refusa, en lui disant d’un ton très-dur, que, puisqu’elle ne pouvait donner la garantie suffisante, son enfant ne serait pas vacciné.

Enfin, quelque temps après, ayant pu compléter la somme exigée, on vaccina son enfant.

Combien de mères qui, rebutées par une demande injuste et souvent au-dessus de leurs moyens, ne reviennent plus !

Et l’on viendra dire : Le peuple a des préjugés ; il ne veut pas comprendre… Oui, le peuple est malheureux, par conséquent il a tort.

J’ai l’honneur, etc.

bitry.

P. S. Le fait cité s’est passé à la Charité ; et la demande de la garantie a été faite par un élève.

Notes de base de page numériques:

1 Les premières campagnes de vaccination contre la variole eurent lieu en France à Rochefort en 1800 et dans la région lyonnaise en 1801. Le succès de ces campagnes va en s’amplifiant puisque, selon le Ministère de l’intérieur de l’époque, on passe de 150 000 vaccinations en 1806 à 750 000 en 1812. Toutefois la période ultérieure annonce une décrue car entre 1820 et 1829, le chiffre moyen annuel des vaccinations s’établit à 350 000, il dépasse de justesse les 400 000 dans la décennie suivante. Les tournées vaccinales représentent toutefois pour les médecins un investissement considérable en peine et en temps. L’État refuse de consacrer le moindre argent à ces campagnes et exerce des pressions pour que les départements limitent leurs dépenses. De cette absence de politique sanitaire réellement efficace, découlera une réapparition d’épidémies. Référence : Olivier Faure, Histoire sociale de la médecine (XVIIIe – XXe siècles), Paris, Anthropos, 1994.

 

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