L'Echo de la Fabrique : 11 novembre 1832 - Numéro 55

 RÉPONSE A UN JOURNAL
Se disant la France Nouvelle.1

Un journal qui s’intitule effrontément la France Nouvelle2, contient l’article suivant dans son numéro du 3 novembre.

Lyon, le 29 octobre 1832.

Les ennemis de l’ordre ne parviennent à s’entendre nulle part : aussi la division la plus notoire vient de se révéler entre les fondateurs de l’Echo de la Fabrique. Un dîner devait avoir lieu pour célébrer l’anniversaire de la fondation de cette feuille bousingote3 : mais 240 convives seulement se sont réunis à Vaise, et 100 autres sont allés dîner à Perrache.

Les discours prononcés à Vaise ont été des plus violens : un orateur s’est écrié :

« Le trône est au peuple qui l’a conquis et qui saurait bien le reprendre des mains inhabiles d’un roi qui ne sait pas ou ne veut pas marcher avec la nation. »

Vous voyez que si nos défenseurs du peuple sont patriotes, ils ne sont pas forts ; et rien n’est plus comique qu’un trône dans les mains d’un roi, qui probablement s’asseoit sur son sceptre.

A la fin du repas, une souscription de 25 c. par mois a été proposée en faveur des ouvriers malheureux ; mais aussitôt tous les convives se sont levés et sont sortis en feignant, pour la plupart, de ne pas voir les quêteurs.

Nous remercions le Précurseur de nous avoir fait connaître cette attaque, encore plus ridicule qu’odieuse, d’un journal tombé trop bas dans l’opinion publique, [1.2]depuis sa honteuse défectioni, pour que nous perdions nos instans à le lire. – Nous le remercions aussi d’avoir pris spontanément notre défense, et nous n’attendions pas moins de son patriotisme éclairé.

La France Nouvelle n’a pas dit un mot de vrai dans cet article de quelques lignes ; nous devons joindre nos dénégations précises à celles du Précurseur. Ainsi nous répéterons, sans crainte d’être démentis :

Aucune division n’existe entre les actionnaires de l’Echo de la Fabrique, et tous ceux qui n’ont pu assister au banquet du 28 octobre s’en sont excusés auprès de leurs collègues d’une manière amicale. L’impression du compte-rendu a été votée à l’unanimité par le conseil de surveillance, dans lequel figuraient même deux membres qui, par des raisons particulières, n’avaient pu assister à cette fête industrielle, à leur grand regret, ainsi qu’ils nous l’ont exprimé. – Dès-lors, il faut traiter avec le mépris le plus absolu cette fable d’un banquet qui aurait eu lieu à Perrache, en opposition à celui de Vaize. Nous prions la France Nouvelle de vouloir bien nous le faire connaître plus en détail, car à Lyon on n’en a pas entendu parler ; ce serait alors un banquet incognito, et dès-lors, nous ne voyons pas ce que cela voudrait dire. Est-ce que par hasard il aurait fallu que le 28 octobre tout le monde dînât à Vaise ? Quelle puérilité !

Quant au nombre des convives, le journal ministériel en le portant à 240 juste, a voulu faire preuve d’être bien informé ; il se trompe, et voudra bien se persuader que nous sommes mieux à même que lui de connaître la vérité. Eh bien, nous affirmons que les convives étaient au nombre de 256 ; et ce qui le prouve, c’est que la collecte a produit 64 fr., laquelle somme, à raison de 25 cent., forme bien le total de 256 personnesii. Mais encore, qu’importe ? n’eût-on été que 240, ce nombre serait-il tout à fait à dédaigner ? Que la France Nouvelle, le Courrier de Lyon, ou autres journaux de ce genre, fassent une souscription, parfaitement [2.1]libre et pour un semblable objet, et nous verrons le nombre de leurs adhérens.

Enfin, la France Nouvelle ajoute que les discours ont été des plus violens, si elle disait énergiques et patriotes, nous accepterions ce reproche de sa part avec beaucoup de plaisir. Elle va plus loin. Un orateur s’est écrié : Le trône est au peuple qui l’a conquis et qui saurait bien le reprendre, etc. Malgré notre politesse habituelle, nous sommes obligé de dire à la France Nouvelle qu’elle en a menti ! Aucun toast ne contenait de semblables paroles. Notre compte-rendu a été publié, et nous ne sommes pas gens à taire ce que nous aurions dit ; il est vrai que nous avons soin de penser ce que nous voulons, mais de ne dire en public que ce qui doit être dit. De cette manière on ne craint ni mouchards, ni procureurs du roi, et par le temps qui court, cela a bien son avantage.

Quant au titre de feuille bousingote que la France Nouvelle nous donne, cela nous est parfaitement égal ; on a appliqué le nom de bousingots à des gens si honorables, que personne n’en rougit ; et si demain nous cessions d’être l’Echo de la Fabrique, nous prendrions avec plaisir le titre de Journal des Bousingots.

En résumé, nous n’avions pas besoin, après les observations que le Précurseur a bien voulu faire en notre faveur, d’apologie auprès de nos concitoyens, ils nous connaissent et sont à même d’apprécier nos doctrines ; mais comme nous ne voulons pas être calomniés impudemment et répondre de ce que nous n’avons pas dit, nous venons d’écrire au gérant de la France Nouvelle pour le forcer de rétracter ce qu’il a dit du prétendu toast qu’il a inventé, pour avoir occasion de verser le ridicule sur la classe ouvrière. S’il refuse, nous saurons l’y contraindre par les voies légales.

Notes de base de page numériques:

1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing d’après la Table de L’Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Il s’agit ici de La France nouvelle. Nouveau journal de Paris, politique, littéraire et industriel, publié depuis juin 1829.
3 Sur le plan politique, le terme de « Bousingot » renvoyait alors aux jeunes hommes d’opinions républicaines. Le sobriquet avait été popularisé par Léon Gozlan, dans une série d’articles du Figaro publiés début 1832. Le terme s’inspirait des chapeaux de cuir vernis que portait cette jeunesse d’opposition. Après les journées de juin, il servait encore à désigner plus précisément les étudiants ayant participé à la tentative d’insurrection.

Notes de fin littérales:

i Ce journal était connu, il y a quelque temps, sous le titre de journal de ParisJournal de Paris. Il a renfermé plusieurs bons articles avant la révolution de 1830juillet 1830. Depuis, on demande si ce sont ses abonnés qui le font vivre.
ii Cela répond à cette plate observation que les convives se sont esquivés en feignant, la plupart, de ne pas voir les quêteurs.

 

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