L'Echo de la Fabrique : 11 novembre 1832 - Numéro 55

 DE L’ORGANISATION COMMERCIALE.

Si nous avons entendu réclamer souvent la liberté illimitée du commerce, depuis la restauration ; si une grande masse de produits a été le résultat de la plus grande latitude laissée à l’industrie, il faut convenir qu’une lacune imperceptible, à son origine, a pris dans ces derniers temps un développement si large, qu’elle a engendré une plaie dont l’irritabilité va toujours croissant, c’est la coupable imprévoyance sur la classe ouvrière.

Si nous nous portons aux premières années de la restauration, nous y voyons la liberté du commerce érigée en principe, réclamée avec ardeur par les interprètes de la pensée publique ; sans doute cet affranchissement était aussi désirable qu’il eût été salutaire, si le pouvoir, prenant en main la direction de la puissance commerciale et industrielle de la France, eût mis dans son accroissement la même importance qu’il attachait à la répression de son élan ; mais il ne comprit l’agrandissement du commerce de la France, que comme un élargissement de la surface sur laquelle devait s’étendre la perception des impôts compris au budget. Toute la vigueur productrice fut donc abandonnée à sa fougue, n’ayant à se débattre que contre sa propre effervescence, et les constantes prétentions du fisc.

Tant qu’il ne fut question que de produire, l’industrie prospéra, si l’on peut appeler prospérité une activité incessante, dont le résultat ne peut être apprécié exactement ; des manufactures nouvelles s’élevèrent de tous côtés ; des villes de fabrique virent leur population et leur importance commerciale s’accroître dans une proportion gigantesque.

De tels progrès devaient appeler la sollicitude d’un pouvoir convaincu de toute l’étendue de ses devoirs, et sans vouloir récriminer, nous pouvons dire qu’il se plaça en état d’hostilité contre ceux qui devaient le soutenir. L’indifférence la plus complète pour les classes ouvrières fut le mal, qui, faible à son origine, devait plus tard punir ceux qui n’avaient pas su y apporter remède.

On commença à comprendre que dans l’industrie il y avait autre chose que la production ; que la distribution était le point capital, et que le pouvoir seul avait les moyens de la faciliter. Le pouvoir garda son impassibilité, les produits s’accumulèrent, la main d’œuvre baissa de prix, et la misère commença à se faire sentir.

[6.1]Quand la révolution de juillet vint ébranler la constitution sociale, il était sans doute à croire qu’une organisation nouvelle allait rendre à l’industrie cette unité d’action, cette simultanéité d’efforts qui peut seule la faire arriver au rang qu’elle doit occuper ; mais l’ornière avait été tracée ; on la suivit, et la catastrophe, qui depuis longues années grossissait, éclata violemment et bouleversa tout ce qu’il y avait d’industriel en France.

Dirons-nous que depuis ce moment la situation n’a fait qu’empirer ? Les faits le prouvent malheureusement avec trop d’évidence, et assez de cris de détresse s’élèvent de toutes parts, pour que le pouvoir n’hésite plus à procéder à une impulsion directrice, dans la voie de l’association.

Il s’agit, en effet, de rendre meilleure la condition matérielle des classes ouvrières ; de ramener les esprits à la sympathie, que la concurrence a anéantie ; substituons l’antagonisme et la haine aux sentimens de fraternité qui doivent unir les hommes ; il s’agit, enfin, de donner à l’industrie une constitution qui permette au pouvoir de dominer d’un point de vue général toute l’activité de la nation.

L’amélioration matérielle du sort de la classe ouvrière peut s’opérer par la simple indication du pouvoir ; il ne s’agit, pour cela, que de reporter les impôts qui la grèvent, sur la classe riche et oisive qui jouit d’un superflu démesuré ; sa condition physique serait aisément changée, par la suppression des impôts sur les boissons, le bétail, le sel, etc., dont on réclame l’abolition depuis si long-temps et avec tant d’instances. L’ouvrier, après son travail, n’aurait pas encore à retrancher sur une nourriture acquise avec tant de peine, et si rarement suffisante pour lui et sa famille.

L’instruction primaire, encouragée utilement, peut donner des résultats tels, que dans un court espace de temps, toute la population de la France recueillerait les avantages qu’elle est en droit d’en attendre. Ce premier enseignement est indispensable pour faire participer les masses à la connaissance des progrès que l’intelligence humaine a réalisés. Assez de cœurs sympathiques, assez d’esprits éclairés sont disposés à populariser les lumières, pour que la lice soit dignement remplie, quand le pouvoir voudra lever la barrière.

Mais c’est par l’association surtout qu’une ère nouvelle peut commencer pour l’industrie, ère de paix et de bonheur, s’il était donné aux gouvernans d’en comprendre les bienfaits. Avec elle, cette concurrence mortelle, pour celui qui triomphe comme pour celui qui est vaincu, cesserait de répandre le deuil sur des existences consacrées au travail et dignes d’un meilleur sort.

Nous rappellerons sommairement ici les moyens que nous avons indiqués précédemment pour faciliter l’association : ils consistent dans l’établissement d’une caisse de crédit public, chargée de recouvrement de tous les impôts, de la commandite de l’industrie, de la surveillance des mouvemens commerciaux avec l’étranger, et dans la constitution d’associations partielles d’ouvriers, ayant pour but de faire participer ceux qui travaillent aux avantages recueillis jusqu’à ce jour par ceux qui les exploitent.

C’est par de tels moyens que le pouvoir parviendra à rétablir en France cette unité si nécessaire dans les efforts de l’industrie, et qui est tellement éloignée des esprits par la longue habitude qu’ils ont contractée de considérer, sinon un ennemi, au moins un rival dans chaque concitoyen ; qu’il ne faut rien moins que le souvenir [6.2]d’une occupation étrangère, pour réveiller le sentiment de patriotisme et de fraternité qui devrait faire battre tous les cœurs.

L’Européen, journal hebdomadaire des sciences morales et économiques.
(20 octobre 1832, n° 46, page 309.).

 

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