L'Echo de la Fabrique : 18 novembre 1832 - Numéro 56

 CONSEIL DES PRUD?HOMMES.

Audience du 15 novembre,

(présidée par m. goujon.)

*** Première question. ? Les tirelles sont-elles dues sur l?article marabou ? ? R. Non.
Le sieur Fabre, chef d?atelier, réclame aux sieurs Oyex et Mongrenier, des tirelles sur plusieurs pièces. Interrogé, il répond que les tirelles qu?il réclame sont sur des mouchoirs marabou à poil cuit, composés de 4 fils cuits pour un fil cru.

Le sieur Oyex met avec gravité ses lunettes, et lit un long plaidoyeri dont le sens est : qu?il est fabricant depuis vingt-cinq ansii, qu?il n?a jamais alloué de tirelles, et que tous les fabricans de marabou n?en donnent point ; que l?ouvrier est en avance de matières, et que s?il lui allouait les tirelles réclamées, ses avances surpasseraient le déchet fixé. Il termine, en disant qu?il reçoit les mouchoirs fabriqués deux fois la semaine ; que chaque fois il reçoit un pouce d?étoffe pour [7.1]tenir les franges des mouchoirs pendant l?apprêt ; que cela doit tenir lieu de tirelles.

Les parties ainsi entendues, la question est (sans passer à la salle des délibérations et même sans délibérer) votée au scrutin secretiii.

« Le conseil déboute le sieur Fabre de sa demande contre les sieurs Oyex et Mongrenier, et renvoie ces derniers d?instance. »

*** Deuxième question. ? L?ouvrier qui quitte l?atelier de son maître sans avertir, est-il tenu à une indemnité ? ? R. Oui.

Le sieur Jacob expose que le sieur Vaormelingeniv, dans la première conciliation qui eut lieu, avait consenti à rentrer chez lui. Ne l?ayant pas fait, il réclame une indemnité. Le sieur Vaormelingen répond n?avoir promis de rentrer que jusqu?au dimanche suivant ; que les compagnons ses confrères, se sont opposés à ce qu?il restât plus long-temps chez le sieur Jacob. M. Gamot, lit son rapport, duquel il résulte que l?ouvrier se plaignait de ce que le sieur Jacob ne lui payait pas la moitié de sa façon, mais qu?il avait reconnu la bonne foi du sieur Jacob à cet égard, et avait consenti à rentrer chez lui, d?après les preuves évidentes fournies par le sieur Tocanier, lequel a constaté par ses livres, qu?il ne payait à tous les maîtres, qui fabriquent le même article, que 2 fr. 75 c. le mouchoir, prix auquel le sieur Jacob avait réglé son ouvrier. M. Tocanier, a expliqué que le prix du 3 francs porté sur le livre du sieur Jacob, lui était du pour un double montage de métier, et que c?était un oubli de la part du commis de ne pas l?avoir spécifié. Le sieur Vaormelingen reconnaissait donc dans cette seconde conciliation la bonne foi du sieur Jacob, et [7.2]consentait à rentrer. Mais le sieur Jacob observa que depuis 15 jours que son métier était resté vacant, il s?était pourvu, et que le métier n?était plus disponible. Alors, la somme de 12 francs fut proposée pour indemnité au sieur Jacob, ce qui fut consenti par les parties. M. Gamot, termine son rapport, en priant M. le président de lire l?article de la loi, sur les coalitions d?ouvriers, afin d?instruire et d?avertir les compagnons qui sont présens à l?audience, des peines qu?ils peuvent encourir en formant des coalitions contre leurs maîtresv.

« Attendu que les parties ont été d?accord, la conciliation prend force de jugement ; la somme de 12 fr. est allouée au sieur Jacob. »

Une affaire entre M. Naud, chef d?atelier, et M. Bender, dans laquelle il s?agit de décider une question importante ; celle de la prescription a été renvoyée à huitaine.

Nous ne mentionnerions pas cette cause, sans un incident remarquable, le sieur Naud, intimidé et privé de l?assistance d?un défenseur, suivant la doctrine du bon plaisir de MM. les prud?hommes négocians, qui ont leurs raisons pour cela, oubliait de réclamer deux montages de métiers. M. Charnier, prud?homme, l?un des membres devant lesquels la cause avait été renvoyée en conciliation, lui l?ayant fait observer, M. le président lui a imposé silence avec humeur, en lui disant : « Vous ne devez parler que quand je vous y inviterai. » M. Charnier ayant répondu, J?ai dit ce que je voulais, je n?ai plus rien à dire ; M. le président a répliqué : Vous ferez bien. Ce mot restera, il a plus offusqué l?auditoire que M. Charnier, qui sait se mettre au-dessus de toutes ces petites tracasseries.

Le sieur Defanis contre le sieur Ogier, a obtenu 25 fr. pour indemnité de montage, au lieu de 15 fr. qui lui étaient offerts.

Notes de fin littérales:

i M. le président, si sévère, si emporté contre le droit d?assistance, n?a pas jugé à propos d?interdire au sieur OyexOyex, la lecture d?un plaidoyer écrit. Nous en prenons acte ; mais nous croyons aussi, que si ce chef d?atelier eût pu se faire assister, la cause eût tourné différemment?
ii M. OyexOyex a dit la chose qui n?est pas ; en effet, il n?y a que deux ans que les sieurs OyexOyex et MongrenierMontgrenier ont élevé leur maison de commerce. Précédemment, le sieur OyexOyex était associé de M. SecondSecond, maison ancienne et respectable qui a toujours alloué des tirelles sur les marabous, article principal de sa fabrication. Ainsi, le sieur OyexOyex a donc surpris la religion du conseil, en disant qu?il n?a jamais alloué de tirelles depuis vingt-cinq ans, et qu?aucun négociant n?alloue des tirelles sur l?article marabou. Nous devons ici dire la vérité, en affirmant que les meilleures fabriques ont conservé cet usage ; et nous citerons M. Dervieu filsDervieu fils, qui peut être considéré comme le fabricant qui fait maintenant le plus cet article, et a toujours conservé l?usage d?allouer des tirelles à ces ouvriers, usage qui existait aussi dans la maison GrabitGrabit, où il était associé. Nous rappellerons à cet égard aussi la lettre d?un marchand fabricant qui nous a prié de taire son nom, laquelle est insérée dans le n° 50 de l?EchoL?Écho de la Fabrique.
iii Le conseil était composé de vingt-cinq membres. Si nous sommes bien informés, la majorité, qui s?est prononcée contre les tirelles, a été de quinze voix. Un membre, M. TarpinTarpin, fabricant de dorures, a eu la sagesse de refuser de voter. Il eût cependant été plus compétent que les prud?hommes chapeliers, tulistes, bonnetiers qui se sont ingérés de décider ce qu?ils ne peuvent connaître. Ce jugement étrange nous fait un devoir impérieux de traiter deux questions irritantes, mais que nous ne pouvons plus ajourner celles de la nécessité d?une jurisprudence fixe, et de l?inconvenance du vote des prud?hommes étrangers à la section de soierie, dans les questions qui la concernent spécialement. Nous commencerons à nous acquitter de ce devoir dans notre prochain numéro.
iv Nous avons reçu de cet ouvrier la lettre suivante qui, quoique antérieure à la décision de ce jour, trouve ici sa place : « Monsieur, Je travaillais depuis deux ans et demi chez M. JacobJacob, avec la plus grande confiance ; m?étant aperçu qu?il en abusait, je le dissimulais jusqu?à, ce que j?en eus obtenu la certitude. Lorsque je l?eus acquise, je le traitai comme il le méritait devant témoins ; il reconnut son tort. Une demie journée se passe, il va au magasin, fait an accord avec M. TocanierTocanier, et change alors de langage. Devant le conseil des prud?hommes, M. TocanierTocanier a déclaré que le prix marqué sur son livre, ne lui est accordé qu?à titre d?indemnité pour montage de métiers ; ce négociant devait rire en déposant et affirmant un pareil mensonge. J?aurais pu prouver qu?il mentait, et je le peux encore. Toutes ces dépositions ne justifient en rien M. JacobJacob ; il a reçu quatre pièces ; les prix ont toujours été marqués en les recevant, et il me les a toujours déclarés 25 centimes de moins par mouchoir ; et sur le métier que j?occupais auparavant, il a porté à mon compte vingt mouchoirs à 3 fr., et il en était payé 3 fr. 50. Mon intention était de garder le silence ; mais quand un homme cherche à rétablir son honneur aux dépens de celui d?un autre, on ne doit plus avoir d?égard pour lui. Je désire que M. JacobJacob prouve comment il pense être justifié. Qu?il ne croie pas que ce sont ses menaces qui m?empêcheront de parler. Il a voulu me tromper, je le déclare ; il a été condamné par le conseil des prud?hommes à me liquider mon compte sans rien recevoir. Dimanche dernier11 novembre 1832, je me suis présenté chez lui, pour emporter le restant de mes effets ; il me les a refusés, sans que je sache pourquoi. Je voulais rentrer chez lui et finir ma pièce ; mais voyant qu?il voulait que je la finisse au prix de 3 francs, quoique celui marqué sur son livre soit de 3 fr. 25 c. J?ai jugé convenable de ne pas continuer, et d?éviter de nouvelles contestations. J?ai l?honneur, etc. VaormelingenVaormelingen »
v Nous avons été surpris d?entendre une semblable invitation, cela ne s?était pas encore vu ; nous n?approuvons pas quant à nous, les coalitions des ouvriers, mais la loi doit également sévir contre les coalitions de négocians contre les chefs d?atelier, et nous espérons que le prud?homme qui se lèvera pour les signaler sera écouté aussi favorablement que M. GamotGamot.

 

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