L'Echo de la Fabrique : 4 décembre 1831 - Numéro 6

LYON1.

Trop de malheurs ont désolé notre cité, notre mission n?est point de les aggraver par des accusations. Malheur à ceux qui, pour servir leur cause, exhument la cendre des tombeaux, et surtout de ceux recouverts d'une terre fraîchement remuée ! Nous l'avons déjà dit, nos larmes ne sont point exclusives. Eh ! pourquoi s'agenouillerait-on sur un seul tertre, tandis qu'à côté reposent les restes d'un citoyen victime de son courage et de son erreur ?? Puisqu'un long duel a eu lieu entre la fortune et la misère, puisqu'enfin ce terrible duel est terminé, jetons un voile sur ces jours de calamités, sur ces jours où l'homme frappé par la balle de son concitoyen semblait [1.2]n'avoir qu'un seul regret, celui de ne point mourir pour sa patrie et pour le Roi-citoyen, objets de ses dernières pensées.

Pour nous, dévoués aux intérêts de la classe ouvrière, nous ne dévierons point de notre route ; nous serons toujours les défenseurs zélés de cette partie intéressante de notre population, car nous connaissons les sentimens dont elle est animée. Nous lui dirons, aujourd'hui que la paix renaît dans cette malheureuse cité, que les angoisses de la misère, que vos amis décimés, que vos familles en deuil, que le souvenir de tant d'affreux momens n'abattent point vos ames, quand sur cette rive désolée paraît le Prince2 en qui nous mettons toute notre espérance, le Prince qui doit un jour régner sur nous, et qui a déjà appris à l'étranger qu'il serait le premier à voler aux combats si la patrie était menacée.

Nous ne les engagerons point à prendre leurs habits de fête, par respect pour le crêpe qui couvre leurs chapeaux, mais nous leur dirons : Pressez-vous sur son passage ; que dans vos traits il lise l'amour que vous avez pour lui, amour qui ne finira que quand vos c?urs auront cessé de battre.

Ouvriers de Lyon ! pourquoi faut-il qu'on vous aient calomniés ? N'aviez-vous pas assez de vos malheurs sans être désignés comme les instrumens des factieux de toutes les couleurs ? Quelles odieuses imputations ! lorsqu'on vous a montrés à vos frères des départemens, arborant une couleur souillée par la plus lâche trahison et l'assassinat de vos frères de Paris ? lorsqu'on vous a montrés comme servant une dynastie ramenée deux fois par les baïonnettes étrangères, séparée enfin de nous par une barrière de cadavres, et qui trouve à peine chez l?étranger [2.1]la pitié qu'on doit aux exilés. Ouvriers de Lyon ! hommes de juillet ! Français dévoués au Roi-citoyen qui a rendu à la patrie la gloire dont nos pères l'avaient dotée ! n?êtes-vous pas les mêmes hommes qui, à une époque plus heureuse, accouraient sur les pas de ce Prince digne héritier du trône, de ce Prince qui, jeune comme vous et brûlant d'amour pour cette France adorée, saura, un jour, l'élever au plus haut période de la gloire ? N?êtes-vous pas ces mêmes hommes qui faisaient retentir les airs de leurs cris d'alégresse, et auxquels le duc d'Orléans daignait presser la main ? N'êtes-vous pas, enfin, ces mêmes hommes qui ont juré de s'ensevelir dans les plis du drapeau que son auguste Père nous a rendu ? Ouvriers de Lyon ! la vérité exerça toujours son empire sur son c?ur généreux. Déjà, n'en doutez point, il vous rend la justice que vous méritez ; c'est du milieu de cette population qui le chérit, qu'il jugera de votre patriotisme et de votre attachement à son auguste famille objet de votre vénération.

Ouvriers, nos amis, nos frères ! oubliez vos malheurs ! que la présence du Prince, qui vient rendre le calme à cette cité désolée, fasse disparaître toutes les haines ; que les citoyens prennent tous pour devise : Oubli du passé ! que la confiance renaisse entre les hommes séparés un moment par l'intérêt ; que le riche pense que le pauvre est son semblable, qu'il ne doit point l'humilier ; et que tous, ne formant qu'une seule famille, nous nous fassions oublier mutuellement ces jours de détresse et de deuil. Que le Prince, après avoir porté la paix parmi nous, puisse déposer au pied du trône de notre auguste Monarque le témoignage de notre amour et de notre fidélité ; qu'il dise au Roi-citoyen, au père des Français, que nous jurons tous de nous ranger au premier signal auprès de son digne fils, et de vaincre ou de mourir pour le Roi, la patrie et la liberté.

Notes de base de page numériques:

1 L?auteur de ce texte est Antoine Vidal d?après la Table de L?Echo de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).
2 Ferdinand-Philippe d?Orléans (1810-1842) était le fils aîné de Louis-Philippe Ier. Militaire formé à l?Ecole Polytechnique, il se distinguera avec l?Armée d?Afrique et trouvera la mort accidentellement à Neuilly le 13 juillet 1842. Le Maréchal Jean de Dieu, Nicolas Soult (1769-1851), Duc de Dalmatie (1808), était un grand soldat des campagnes napoléoniennes. Au début de la Monarchie de Juillet, il sera ministre de la guerre (1830-1834) et cumulera un temps la présidence du Conseil des ministres (1832-1834).

 

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