L'Echo de la Fabrique : 2 décembre 1832 - Numéro 58

 INCONVENANCE DU VOTE
des Prud’hommes étrangers à la fabrique des étoffes de soie,

Dans les affaires spéciales à cette fabrique.1

[2.2]Nous aurions désiré nous dispenser de traiter cette question que notre devoir nous force d’aborder ; car il répugne toujours de paraître faire une question de personnes de ce qui, quant à nous, n’est qu’une discussion de principes. Il n’y a rien de personnel dans tout ce que nous allons dire, ni de désobligeant pour MM. les prud’hommes des sections autres que celles de la fabrique d’étoffes de soie. Cette explication faite, nous entrons en matière :

Pour bien se rendre compte de l’inconvenance du vote des prud’hommes étrangers à la fabrique d’étoffes de soie, dans les questions qui lui sont spéciales, quelques observations sur les conseils de prud’hommes en général paraissent nécessaires. Nous examinerons de quelle nature sont ces tribunaux institués pour certaines industries, et nous chercherons pourquoi ils ont été établis, afin d’arriver à connaître, si dans leur composition actuelle, ils remplissent le but qui leur était assigné dans les prévisions législatives. Les conseils des prud’hommes sont des tribunaux d’exception ; ils sont à la fabrique et à certaines industries, ce que les tribunaux de commerce sont au commerce en général.

En créant des tribunaux spéciaux, les législateurs ont eu pour but, non seulement de décharger d’autant les tribunaux ordinaires, et leur faciliter l’expédition des affaires qui naissent chaque jour au sein de cités populeuses, mais encore d’abord de faire juger, par leurs pairs, les hommes de certaines professions, et ensuite principalement de se dispenser de recourir à des expertises longues et ruineuses, en donnant à certaines affaires des juges experts habitués à en traiter pour leur propre compte de semblables. C’est en quelque sorte l’introduction du jury dans les procès civils, et une réminiscence confuse de la loi primitive du talion. Nous ne doutons pas que telle ait été l’intention de ceux qui les premiers ont réclamé l’établissement de tribunaux spéciaux. Aussi dans cet établissement ; s’est-on, avec raison, plus occupé de la matière que des personnes. Ces dernières sont restées soumises à l’empire du droit civil ordinaire, toutes les fois qu’elles n’ont pas eu à répondre sur des causes étrangères à la vie commune. Peu importe, par exemple, qu’un homme soit ou non négociant, ce n’est pas dans sa qualité qu’un tribunal de commerce ira chercher une base à sa compétence ; il ne s’enquerra que de l’acte en lui-même, soumis à son jugement. Deux hommes peuvent plaider à la fois devant les diverses juridictions de la manière suivante :

Supposons un négociant et un chef d’atelier. Ils peuvent, le même jour, plaider devant le tribunal de commerce sur une lettre de change, devant le conseil des prud’hommes sur le réglement de leur compte, à la justice de paix sur le paiement d’une somme de 100 fr., et au tribunal civil sur le partage d’une succession qui leur serait échue. La justice de paix et le tribunal civil, voila les deux tribunaux ordinaires, car ils jugent toutes les contestations qui peuvent s’élever, le tribunal de commerce et le conseil des prud’hommes sont au contraire deux tribunaux exceptionnels ; ils ne jugent chacun, que des matières qui leur sont spécialement [3.1]soumises, et qui ont été distraites de la compétence des deux premiers, par la volonté seule de la loi, et non par la nature même des choses.

(La suite au prochain numéro.)

Notes de base de page numériques:

1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing, d’après la Table de L’Écho de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

 

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