L'Echo de la Fabrique : 9 décembre 1832 - Numéro 59

 

M. FULCHIRON Député.1

Quo usque tandem Fulchiron.

Qu’a-t-on fait pour les ouvriers de Lyon ? s’est écrié avec une sainte indignation M. Garnier-Pagès, l’hôte de la ville de Lyon. On leur a fait la CHARITÉ ! c’est à la tribune nationale que ces paroles insultantes viennent d’être proférées. Et quel est l’insolent ?… C’est M. FULCHIRON.

La CHARITE, à nous prolétaires, qui réclamons du travail et nos droits de citoyens ! La CHARITÉ ! c’est là tout ce que l’on peut pour nous, on ne nous doit rien autre. Voilà tout ce que nous offre le coryphée des aristocrates de coffre-fort auxquels juillet a donné le pouvoir.

Pardon, à M. Garnier-Pagès, de la comparaison que nous allons faire ; certes, nous ne lui ferons pas l’injure d’établir un parallèle sérieux entre lui et M. Fulchiron. Ce député des comptoirs est sans doute plus riche, voilà son seul mérite.

Nous ne pouvons dans cette feuille étrangère à la politique, disserter des opinions, mais nous pouvons répondre à qui nous interpelle de si haut ; nous dirons donc que la sympathie des ouvriers lyonnais est acquise au député de l’Isère, au président de la société aide-toi le ciel t’aidera. Ce qui le prouve, c’est un fait entré aujourd’hui dans le domaine de l’histoire. Lorsqu’un charivari, symbole de la justice populaire, se faisait entendre devant le domicile de M. Jars, lorsque son collégue, M. Fulchiron, ne pouvait s’y soustraire que [1.2]par un strict incognito, M. Garnier-Pagès voyait deux mille citoyens, dont les prolétaires formaient la majorité, accourir à un banquet civique préparé en son honneur. Nous pouvons parler au nom des ouvriers, car on ne nous contestera pas le droit de nous dire au moins l’organe d’un grand nombre. C’est en leur nom, sûrs de n’en pas être désavoués, que nous remercions le représentant énergique de la jeune France : nous avons foi en lui, l’avenir le révèlera ; il méritera, n’en doutons pas, le titre d’incorruptible ; il sait, lui, que les ouvriers lyonnais ne veulent pas qu’on leur fasse la CHARITÉ, mais qu’on allége leurs charges et qu’ils puissent vivre en travaillant ; que du moins pour prix de ces charges pénibles, ils ne soient plus des ilotes. Il n’affecte pas le dédain superbe de M. Fulchiron et consors, pour les neuf dixièmes de la population ; il ne demande pas : Qu’est-ce qu’un prolétaire ? Il s’est rendu courageusement l’organe et le défenseur de ceux qui n’ont pas de droits.

O M. Fulchiron, si nous pouvions croire que c’est par ignorance que vous demandez ce que c’est qu’un prolétaire, nous vous le pardonnerions de bon cœur ! Apprenez-le donc : Un prolétaire, c’est celui qui produit ce que d’autres consomment.

Par contre, et au nom de la classe ouvrière, nous repoussons, nous flétrissons la conduite de M. Fulchiron. Il ose se dire fils et petit fils d’ouvriers ! Quelle ironie ! La fortune lui a donc bientôt fait oublier son obscure naissance. Il est millionnaire, dit-on, est-ce en gagnant 32 sous par jour que ses pères ont accumulé des millions ? Lui-même, borne-t-il là son salaire de banquier ? Admettons qu’un banquier soit au-dessus d’un ouvrier, mais un ouvrier est un homme, un banquier est-il un dieu ? Assez de jongleries, nobles et puissans seigneurs !

Qui force M. Fulchiron et ses pareils de parler ? Sous l’influence de quel cauchemar agissent-ils donc ? Qu’ils votent ce que bon leur semble, pour ou contre la charte, les journaux politiques leur répondront ; mais quand ils attaqueront la classe prolétaire, nous avons mission pour répondre à leurs injures, à leurs calomnies ; rien ne nous détournera de ce devoir.

Nous repoussons par un démenti formel toutes les assertions de M. Fulchiron.

Il est faux que des négocians ayant fait travailler [2.1]sans avoir des commandesi. Qu’on cite les noms de ces philantropes ! Ce ne sont pas les commandes qui ont manqué, c’est le salaire ; il ne faut pas l’oublier. Les ouvriers ont pris toujours patience, lorsque par des circonstances quelconques, le travail a manqué. Mais lorsqu’ils ont vu que l’ouvrage abondait, mais à un prix tel qu’ils ne pouvaient pas vivre en travaillant, ils se sont émus ; et de là, la demande d’un tarif ; et de là, les journées de novembre. Fatales journées ! Oui, bien fatales, si elles ne servent même pas de leçon ! L’on y ramène toujours notre pensée : et l’on parle de réconciliation !… Oui, nous nous souvenons d’avoir vu ces mots : Union, Fraternité, Oubli, c’était sur une proclamation de l’autorité, mais c’était le 24 novembre 1831… Les ouvriers lurent et crurent, nous fûmes les premiers à leur dire de croire… Depuis, nous ne les avons lus nulle part, ces mots bienveillans.

Depuis, le Courrier de Lyon, ce plat valet du juste-milieu, a été fondé en haine de la classe ouvrière… Depuis, M. Fulchiron a parlé… Oh ! s’il savait le mal qu’il fait à ceux dont il entreprend gauchement de défendre les intérêts ; s’il savait combien sont irritantes aujourd’hui les passions du négociantisme produites au grand jour ! Oh ! alors il se tairait.

Nos ouvriers ne se plaignent pas, dit encore M. Fulchiron. Et qu’en sait-il ? A-t-il visité nos ateliers ? Il s’est contenté de voir ses commettans, et il veut être rapporteur dans ce grand procès !

Mais c’est assez nous occuper de cet homme. Heureusement il a cessé d’être lyonnais… Nous nous en félicitons… Portons notre vue sur un avenir plus doux… Continuez, vous tous qui avez un cœur patriote et des entrailles pour le peuple. Votre mission calomniée est difficile ; mais où serait la gloire sans cela ? Vous ne vous laisserez pas intimider par les croassemens furibonds des hommes d’argent. Le règne des suppôts de Baal, des esclaves de Mammon, est sur le point de finir. Soyez les apôtres de la résurrection sociale. Salut à Garnier-Pagès et à ceux qui l’imiteront !

Notes de base de page numériques:

1 L’auteur de ce texte est Marius Chastaing, d’après la Table de L’Écho de la Fabrique (numéros parus du 30 octobre 1831 au 30 décembre 1832).

Notes de fin littérales:

i Il faut observer qu’à LyonLyon les marchands fabricans se divisent en deux classes dont la spéculation est bien différente. Les uns ne travaillent que par commission, les autres travaillent sur des articles qui sont toujours de vente, et par conséquent ils font fabriquer sans commission. Ce sont ces derniers qui gagnent le plus ; en effet, ils spéculent sur le bas prix des soies (ce qui est bien licite), et sur le bas prix des façons, ce qui l’est moins. Aujourd’hui, par exemple, les fabricans qui ont fait fabriquer, jouiront par l’augmentation du prix des soies, d’un grand bénéfice dont certes ils ne feront pas jouir les ouvriers. Ils ont profité de la stagnation des affaires pour faire travailler à bas prix et gagner un peu plus ; est-ce qu’on leur doit beaucoup de remercîmens ?

 

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