L'Echo de la Fabrique : 9 décembre 1832 - Numéro 59

 CONCOURS.

M. Vernay propose le mot de tissosoiriste. M. Méziat, à ceux par lui proposés, ajoute ceux de sericariers et tissericiers.

Lyon, le 27 novembre 1832.

AU RÉDACTEUR.

Monsieur,

La langue universelle fut la pensée de toute ma vie?
Leibnitz.

Ce ne fut que par une idée toute philosophique, puisqu?elle se rattache au langage universel des peuples, que je vous proposai un mot étymologique pour remplacer celui de ferrandiniers. C?était un pas à faire vers un but scientifique, c?était un atôme de progrès à extirper de l?immensité des progrès qui nous restent à faire. En homme sensé, vous daignâtes prendre en considération la question que je venais de soulever, sachant bien que c?est à l?imperfection des langues qu?il faut attribuer en grande partie les paradoxes et les erreurs ; mais n?est-ce pas au texte même de votre concours qu?il faut attribuer cette polémique longue et fastidieuse, sur une aussi simple question. En effet, vous dites : Nous ne devons pas oublier que c?est un sujet de goût et de convenance auquel le public doit donner son approbation. Étrange erreur ! C?est tout comme si l?on demandait à une jeune fille le nom qu?elle voudrait porter, elle ne manquerait pas de désigner celui qui serait le plus conforme à son esprit romanesque : quot capita tot sensus. Les Berzélius1, les Vauquelain2, en appelant chlorure de sodium, ou hydro-chlorate de soude (le sel de cuisine) ne consultèrent pas le public, ils n?eussent pas obtenu son assentiment. Cependant les arts brillent d?un nouvel éclat depuis ces nouvelles nomenclatures. La simple question était donc de trouver un nom qui réunît les deux qualités exigées par la logique : la comprehension et l?extension, quelle que soit d?ailleurs sa désinence ; les deux mots que je vous ai proposés, en leur appliquant la règle néologique savamment expliquée par un veloutier (voir l?Echo n° 54), remplissent parfaitement les deux indications demandées, séricariers et tissericiers ; ce dernier, auquel on pourrait conserver la désinence en iens, a de plus l?avantage d?être imitatif.

Je laisse au jugement éclairé des membres de la commission, le soin de décider si les autres mots proposés ne sont pas amphybologiques, incomplets, ou d?une idée trop extensive ; quant au mot soieriefèvres, je les prie de faire attention que le mot latin faber ne s?applique qu?à l?artisan qui emploie le marteau. Du reste, je suis bien persuadé qu?en cette circonstance ces messieurs suivront les sages préceptes de Locke : « N?employons jamais les mots sans y attacher une idée ; faisons-leur toujours signifier la même chose ; ne les rendons pas obscurs par de mauvaises applications. »

Daignez, Monsieur le rédacteur, accueillir ces dernières observations sur une proposition qui doit être résolue par l?affirmative en faveur de la science ; s?il en était autrement, ce serait à douter d?une émancipation plus grande, puisque la moindre question progressive resterait sans solution.

Agréez l?assurance de ma haute considération.

MEZIAT.

Notes de base de page numériques:

1 Jöns Jacob Berzélius (1779-1848), chimiste suédois.
2 Nicolas-Louis Vauquelin (1763-1829), physicien et chimiste français.

 

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