L'Echo de la Fabrique : 23 décembre 1832 - Numéro 61

 LES DEUX G.1

Le 1er G. Bonjour, mon cher successeur. Vous avez l’air soucieux, seriez-vous mécontent par hasard ?

Le 2e G. Mécontent on ne peut plus ; c’est à ne pas y tenir.

Le 1er G. Déjà las des honneurs moderne Sixte-Quinti

Le 2e G. Que voulez-vous, l’ambition … Je la paye cher ; cette maudite presse ; ce diable d’Echo de la Fabrique.

Le 1er G. On vous fait avaler des couleuvres. Avouez qu’il est impossible de gouverner avec la liberté de la presse ; et d’où vient la grande colère de l’Echo contre vous personnellement.

Le 2e G. Je ne sais en vérité pourquoi ; parce que j’ai cru devoir refuser le droit d’assistance à des gens sans aveu, des agens d’affaires, un tip … par exemple.

Le 1er G. Mais vous avez aussi refusé ce droit à un avocat.

Le 2e G. J’ai peut-être bien eu tort.

Le 1er G. Sans doute il eût été prudent de profiter de cette occasion pour revenir sur vos pas puisque un hourra général s’était élevé contre vous … trop entêté, mon cher … j’ai bien fait aussi des miennes, mais je savais céder à l’orage ; ainsi par exemple j’ai essayé de contester le droit d’assistance, mais j’ai toujours eu soin d’éviter le scandale et lorsque des défenseurs se sont présentés je les ai admis ; eh bien ! en tout il ne s’en est pas présenté vingt fois, il vous en serait arrivé autant ; car, au demeurant pourquoi refuser un droit que tous les tribunaux reconnaissent ?

[3.1]Le 2e G. Pourquoi ? dans l’intérêt des ouvriers, pour éviter tout contact entr’eux, et ces sangsues publiques qu’on appelle hommes d’affaires.

Le 1er G. Ah ça ! sans plaisanter est-ce bien là le seul motif.

Le 2e G. Entre nous soit dit c’est le motif apparent : mais le motif réel, le voici : Je suis négociant, j’ai une position sociale ; je dois ménager les intérêts de mes confrères. Eh, croyez-vous que la question de la prescription d’un mois, si je l’eusse laissé plaider publiquement, eût été emportée aussi lestement en faveur des négocians ? croyez-vous qu’un défenseur habile ne trouverait rien à dire sur la légalité des conventions écrites sur les livres d’un ouvrier, sur les surcharges que portent d’autres livres complaisans et mille autres choses. Des plaidoieries publiques, rapportées par un journal avec les commentaires insidieux d’un rédacteur tel que celui de l’Echo, où en serions-nous, mon ami ! J’ai expliqué confidentiellement ces raisons à qui de droit, et malgré les clameurs de Marius et consors l’autorité opposera toujours sa force d’inertie à toutes les réclamations. Les ouvriers se sont flattés que M. le Préfet dans une séance qu’il provoquerait, ferait décider cette question ; tout cela n’aura pas lieu.

Le 1er G. Je comprends ; mais la presse est une arme bien puissante. Je persiste à croire qu’il aurait mieux valu faire comme moi. Admettre le principe sauf à l’entraver dans ses conséquences.

Le 2e G. C’était bon pour vous qui jugiez à huis-clos moi je juge en public.

Le 1er G. Vous dites toujours je ; c’est donc comme de mon tems, ce ne sont pas les prud’hommes qui jugent.

Le 2e G. En riant : c’est par habitude que je m’exprime ainsi : je dis à mes collègues, MM. vous allez être unanimesii, ma section de gauche opine du bonnet, enfoncés les huit.

Le 1er G. Mais s’ils allaient protester.

Le 2e G. Ils n’oseraient ; ils ont peur que l’on se souvienne que les événemens de novembre n’ont pas bien fini.

Le 1er G. Quelque chose me fait rire, c’est cependant moi qui les ai commencés.

Le 2e G. Comment donc ?

Le 1er G. Déjà oublié ; les ouvriers allaient me décerner une couronne lorsque je m’avisais de planter là le tarif : vous savez le reste.

Le 2e G. Aussi vous n’avez pas été réélu.

Le 1er G. Vous ne le serez pas non plus.

Le 2e G. Partant quitte.

Notes de base de page numériques:

1 Ce dialogue fictif met en présence Joseph-Marcellin Guérin, ancien président des prud’hommes de Lyon, et le nouveau président, Goujon, décrié par les journalistes de L’Écho de la Fabrique en raison de son attitude partisane, notamment sur la question de la liberté de défense.

Notes de fin littérales:

i On prétend que Sixte-QuintSixte-Quint pour être nommé pape fit pendant long-temps le bon apôtre. Une anecdote semblable circule sur M. G.M. G.
ii Historique.

 

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