L'Echo de la Fabrique : 30 décembre 1832 - Numéro 62

 SOCIÉTÉ DES AMIS DU PEUPLE.

Nos lecteurs ont entendu parler, de la société des amis du peuple ; société qui a pris naissance à la suite de la révolution de juillet et qui, rivale de celle plus ancienne Aide toi le ciel t?aidera dont M. Garnier-Pagès est président, s?occupe avec activité, soit par elle même, soit par les succursales qu?elle a fondées dans les départemens, de la régénération sociale imminente. Quelques-uns des citoyens estimables qui la composent ont été traduits récemment devant la Cour d?assises de Paris sous la présentation d?avoir contrevenu à l?article 291 du Code pénal, qui défend les réunions périodiques de plus de vingt personnes.

Le quinze de ce mois, MM. Sugier, Rittier, Plocque, Carré, avocats ; Caunes, rentier ; Gabourd, Desjardins, Gaussuron-Despréaux, Plagniol, hommes de lettres ; Berryer-Fontaine et Delamare, élèves en médecine ; Félix-Avril, étudiant en droit ; Godefroy-Cavaignac, homme de lettres et ex-capitaine de l?artillerie de la garde nationale, se sont assis sur le banc des accusés. MM. Norbet-Rilleux, Ulysse-Trelat, médecin ; Juchault, Bonias, Raspaili, Achille-Roche, éditeur des mémoires de le Vasseur de la Sarthe, et rédacteur du Patriote de l?Allier ont fait défaut.

Ces trois questions ont été soumises au Jury :

1° Y a-t-il eu association se réunissant à des jours marqués pour s?occuper de politique ?

[7.1]2° Ces réunions avaient-elles lieu sans l?autorisation du gouvernement ?

3° Les prévenus sont-ils coupables d?avoir été les chefs ou administrateurs de ces réunions ?

Le Jury, composé de MM. Frenet, Barryier, Hotteau, Blanc, Girey, Bufet, Braquemand, Cardin, Denise, Grillet, Renned et Grenet, a répondu oui, sur les deux premières questions, et non, sur la troisième : il en est résulté l?acquittement des prévenus ; mais sur la demande de M. Silvestre, Président, l?Avocat général ayant réclamé la dissolution de la société des amis du peuple, M. Frenel, chef du Jury, s?est avancé et a déclaré qu?il était étonné ainsi que tous ses collègues qu?on ne leur eût pas soumis la question de la légalité de cette société ; que si on l?eût fait ils auraient répondu affirmativement, attendu qu?ils considéraient l?article 291 du Code pénal, comme abrogé par la charte de 1830.

Mr le Président a imposé silence aux Jurés, et faisant droit au réquisitoire du Ministère public, a déclaré dissoute cette société, et condamné Mr Raspail, son président à 50 fr. d?amende.

Nous n?avons pas à examiner la légalité de la déclaration du Jury, nous concéderons volontiers que Mr Frenet n?avait pas le droit de rien ajouter au verdict d?absolution ; mais son erreur est bien excusable.

On doit tirer de ce procès un grand enseignement. L?art. 291 du Code pénal, antipathique à nos m?urs, au progrès des esprits, convaincu de forfaiture envers la constitution, puisqu?on ne saurait nier qu?il est en contradiction flagrante avec le principe de la souveraineté du peuple qui nous régit, cet article a été abrogé par le fait de la déclaration du Jury. Nous avons lieu d?espérer que son abrogation légale (s?il est vrai qu?elle soit nécessaire et qu?elle ne résulte pas virtuellement du nouvel ordre fondé en juillet) ne se fera pas attendre, car, dès l?instant qu?une loi est tombée en désuétude, ou qu?elle répugne soit aux m?urs, soit à la constitution, il est du devoir du législateur de régulariser cet état de choses afin qu?il ne soit pas dit que la loi est impunément violée. On ne saurait, à notre avis, entourer la loi de trop de respects ; et abroger une mauvaise loi, c?est accroître d?autant l?obligation de se soumettre à celles qui sont jugées bonnes.

Le droit d?association est un droit naturel, il est l?origine même de la société.

Tous les jurisconsultes qui ne seront préoccupés par aucun intérêt politique, seront sans doute unanimes ; quant à nous, nous n?examinons cette question que sous le rapport de la jurisprudence et du droit civil des Citoyens, et non sous le rapport politique qui sera toujours étranger à notre feuille.

Mr Cavaignac avait préparé le Jury à cette sentence mémorable par un discours éloquent que son étendue nous empêche de recueillir, mais qu?on trouvera dans le National, le Précurseur, et tous les journaux patriotes.

Cet arrêt est un pas immense vers l?émancipation physique et morale des Prolétaires ; c?est pourquoi nous en prenons note ; c?est un jalon posé dans la route que nous voulons parcourir.

La Société des Amis du Peuple a continué ses séances, et s?occupe des moyens de parvenir à la suppression de l?impôt sur le sel, et de quelques autres impôts onéreux aux classes peu fortunées. Les ouvriers doivent tout espérer d?une société qui a dans [7.2]son sein des hommes tels que MM. Raspail, Achille Roche, Cavaignac, etc. Nous les tiendrons au courant de tout ce qu?elle pourra décider de favorable à l?industrie.

M. C.

Notes de fin littérales:

i Nous avons donné dans le n° 60 de l?EchoL?Écho de la Fabrique des corrolaires d?économie publique extraits, d?un ouvrage de ce savant républicain.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique