L'Echo de la Fabrique : 27 janvier 1833 - Numéro 4

 COUP-D’ŒIL

sur la direction des idées actuelles.

Quand nous disons et répétons que la politique industrielle est celle qui doit occuper aujourd’hui de préférence les esprits, nous n’avançons pas une conception sortie tout d’un coup de notre cerveau, et produite au dehors tout équipée et tout armée, comme autrefois Minerve. Ce n’est pas non plus un but exclusif que nous nous proposons : c’est une prédominance que nous indiquons,

Ainsi partout nous remarquons une tendance plus ou moins prononcée à se placer sur le terrain des intérêts positifs de la société ; et j’entends par intérêts positifs, [4.1]non-seulement ceux qui ont trait au bien-être matériel des hommes, mais aussi à la satisfaction de leurs besoins intellectuels, à l’amélioration de leurs mœurs. A la chambre, au ministère, dans les journaux de Paris, dans ceux des départemens, cette tendance se manifeste à des degrés différens. Beaucoup sans doute repoussent encore cette marche progressive des idées ; mais les idées qui sont au besoin du temps, comme dit le poète, pénètrent bientôt partout ; nous pourrons dire avec lui :

Qu’une idée au besoin des temps un jour éclose,
Elle va, court, grandit, envahit toute chose…

Eh bien ! aujourd’hui c’est cela ! la paix, le travail est le cri universel, aujourd’hui même que la citadelle d’Anvers est prise, pendant la joie de la victoire, au milieu des cris de triomphe, tous les vœux, toutes les pensées sont à la paix. On voit dans cet événement, ou tout au moins on veut y voir la fin d’une guerre à peine commencée ; on parle de retour et l’on a raison. Que peut faire aujourd’hui la guerre pour le bien de l’humanité ?

Et voyez la vivante image que vient vous offrir ce fait d’armes, où nos troupes ont fait voir ce que peuvent l’union, l’organisation et l’exaltation des sentimens d’honneur ! Voyez cette citadelle toute hérissée de bastions et de forts, vomissant le feu par mille bouches, livrée aux flammes, et vaincue par la patience et le courage inébranlable de nos frères. C’est la guerre avec ses horribles cris et ses affreux désastres ; la guerre qui tue les hommes, qui brûle les villages, qui détruit les magasins et les ateliers, qui inonde les campagnes et noie les moissons. C’est la guerre à côté de l’industrie. Cette fois la guerre a fait grâce à l’industrie ; la ville et le port d’Anvers, cette belle cité du commerce, ce rendez-vous de tant de nations qui viennent échanger avec les produits de leurs travaux, des paroles de paix, des vœux de pacifique activité, la ville et le port ont été épargnés. Chassé lui-même, le vieux guerrier, le dur et inflexible capitaine, a respecté ce symbole de la vie industrielle. Il a suivi le noble exemple de l’illustre maréchal qui a su le forcer, lui Chassé, de se rendre à discrétion.

Honneur donc à la victoire ! mais honneur aussi à ce saint respect pour la ville pacifique ! Honneur à la savante et victorieuse modération de notre général. Merci à l’ennemi que nous avons combattu. Car voici qu’il est solennellement acquis aux yeux de tous que la guerre doit respect à l’industrie. Nous pourrons donc, dégagés de ces préoccupations militaires, à présent que la voix du canon ne se fera plus entendre, nous pourrons discuter en paix et en tranquillité nos intérêts de chaque jour, notre avenir qui s’agite au sein des chambres. Nous pourrons crier haro sur les doctrines d’amortissement de M. Humann ; féliciter M. d’Argout, le laborieux ministre, de sa statistique industrielle et commerciale de la France, tout en lui contestant ses illusions de prospérité. Nous lui permettrons, s’il le veut, de se complaire dans le système auquel il attribue si bénévolement le maintien de la paix et les riches couleurs du magnifique panorama qu’il a pris soin de se peindre lui-même. Mais nous lui demanderons, au ministre, d’éclairer la discussion de tous ces projets qu’on nous apporte, la loi des sucres, la loi municipale, le budget, l’impôt du sel, les douanes, l’expropriation forcée surtout, car l’homme qui se sent de bonnes jambes, gémit d’être attaché et demande avant tout qu’on le laisse marcher : qu’on nous délivre donc de nos entraves, et qu’on nous [4.2]permette de paver ou de garnir de lames de fer le grand chemin de l’industrie qui, au bout du compte, est la source de la vie et de la prospérité.

Henry Cellier, avocat.

 

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