L'Echo de la Fabrique : 24 février 1833 - Numéro 8

De la nécessité d’une politique

d’association industrielle.

On comprend généralement aujourd’hui que la politique des siècles passés, qui fut une politique de guerres sanglantes, que celle du présent qui est une politique de chicane ruineuse, ne peuvent plus convenir à la civilisation avancée de notre époque. L’humanité a besoin d’une politique d’association pour parvenir au but vers lequel tendent toutes les sociétés modernes, l’amélioration physique et morale du sort des peuples. Tous les hommes éclairés ont reconnu l’impuissance et le danger de cette politique de déplacement, toujours haineuse, toujours exclusive, qui tend à l’élévation des uns par l’abaissement des autres, qui ôte à ceux-ci pour donner à ceux-là, et crée les mécontentemens et les rivalités de ceux qu’elle dépouille sans pouvoir satisfaire l’ambition de ceux qu’elle enrichit. On reconnaît l’urgence d’une politique de conciliation, qui donne satisfaction à tous les penchans légitimes, à tous les intérêts, et qui rende justice à tous les partis, en facilitant le développement de l’élément de progrès qui se trouve dans chacun d’eux. Diviser pour régner pouvait être un principe de la science gouvernementale dans l’enfance des sociétés, dans les siècles de barbarie, lorsque la force brutale qui accable, qui détruit, était la seule loi des empires, mais aujourd’hui que la civilisation a éclairé les peuples, et que les trônes ont besoin d’une force morale, d’une puissance de production ; régner c’est associer, et l’art de gouverner doit être tout entier dans le secret de protéger, de concilier, d’harmoniser les intérêts de toutes les classes, et de pourvoir à leurs besoins ; la politique doit être moralisante. C’est cette politique qui suppose une œuvre générale à laquelle tous prendront part suivant leur fortune, leur aptitude, leur talent, que nous appelons politique industrielle, politique d’association, seule capable d’utiliser le capital du riche, l’argent ; le capital du pauvre, le travail ; le capital du savant et de l’artiste, la science et l’art.

Cette œuvre générale vers laquelle gravitent l’activité et l’intelligence humaines a pour but d’arriver à une unité glorieuse de bonheur, de savoir et de richesse, résultat providentiel de la grande révolution sociale, qui tend à compléter l’œuvre de la réforme et de la philosophie.

Liberté ! c’est-à-dire affranchissement des peuples, abolition de tous les privilèges : civilisation ! c’est-à-dire moralisation des masses, amélioration de leur sort : voila les deux cris de l’humanité. Lorsque le premier se fit entendre, il apprit à la France que ces vilains corvéables, taillables à merci, tributaires du fisc, des prêtres et des nobles, formaient cependant l’immense majorité de la nation, peuplaient les champs et les ateliers, arrosaient la terre de leurs sueurs et de leur sang; et bientôt, titres, noblesse, priviléges, prérogatives , dîmes et corvées, furent engloutis. Le second [8.1]cri retentit aujourd’hui ; les classes pauvres, les prolétaires, les travailleurs, l’ont compris : ils savent aussi qu’ils composent l’immense majorité de la nation ; qu’ils peuplent les champs et les ateliers, qu’ils prodiguent leurs sueurs et leur sang ; qu’ils cultivent les arts et les sciences ; qu’ils produisent toutes les richesses, et qu’ils n’en jouissent pas. Faut-il attendre qu’ils demandent compte à l’égoïsme bourgeois, à la roture ennoblie, de leurs souffrances, de leur misère et de leur dégradation ?

Le moment est venu de comprendre toute l’exigence et la portée des besoins de l’époque ; et c’est ailleurs que, dans un partage sans fin et sans résultat, dans un déluge de lois, dans des changement de ministères qui ne sont que des changemens de personnes et point des changemens de systèmes, dans un déplacement périodique de fonctionnaires, tous aussi ambitieux et aussi avides les uns que les autres, qu’il faut chercher le remède aux maux qui nous tourmentent. Prenez d’abord pour point d’appui une bonne organisation municipale et une bonne loi d’élection ; et, avec le levier puissant de la presse, vous soulèverez sans efforts et sans secousse la société tout entière, pour la placer sur une base si large et si solide, que les efforts réunis de l’absolutisme et de l’anarchie ne pourront l’ébranler. La commune, unité administrative ; l’élection, unité législative, une fois organisées dans des vues de progrès, de civilisation et de liberté, vous arriverez bientôt aux améliorations successives qui protégeront les intérêts de tous, en augmentant le bien-être et en conservant les droits de chacun.

Jullien,

Ancien élève de l’Ecole Normale.

 

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