L'Echo de la Fabrique : 3 mars 1833 - Numéro 9

 Procès des Tullistes.

Police correctionnelle.

Audience du 27 février 1833.

Cinq ouvriers tullistes, les sieurs Bonnardet, Thevenet, Zéker, Biolay, Clemençon et deux marchands de cette même profession, les sieurs Méroés et Brajoux étaient traduits devant ce tribunal sous la prévention de coalition. Les premiers ont été défendus par M. Chanay, avocat, et les seconds, par M. Menoux, aussi avocat.

Les faits de cette cause ont été expliqués dans la note fournie par les tullistes, insérée dans le n° 6 du journal.

Une grande affluence de monde a témoigné de la grandeur de la cause et de la sympathie des ouvriers pour leurs camarades.

Après les interrogatoires d’usage, la parole ayant été donnée aux défenseurs, Me Chanay s’exprime ainsi :

Cette poursuite correctionnelle si simple en apparence renferme dans son sein une question d’un immense intérêt ; il ne s’agit pas seulement de déclarer si quelques ouvriers se sont mis en contravention avec l’article 415 du code pénal, mais bien de décider si des ouvriers peuvent suivant leur libre volonté travailler ou ne pas [11.1]travailler, ou si véritables esclaves ils doivent leurs travaux au premier négociant qui voudra les réclamer et pour le modique salaire qu’il lui plaira leur attribuer. Vous avez à examiner si cet esprit d’association qui domine partout, qui envahit toutes les professions, peut être arrêté dans sa marche si imposante.

A peine M. Chanay a-t-il prononcé ces paroles, qu’il est interrompu par M. le président et M. l’avocat du roi, l’un et l’autre lui observent que cette question ne doit pas être soulevée : Me Chanay qui avait remarqué l’accueil bienveillant et paternel fait aux ouvriers par M. le Président, s’est empressé de se rendre à ces observations, il a renoncé à sa discussion sur le droit d’associationi et dans l’intérêt personnel des prévenus, il a cru devoir se borner à discuter l’applicabilité de l’art. 415 du code pénal à la cause des tullistes, et à développer en peu de mots les circonstances atténuantes.

Me Menoux a présenté la défense de M. Méroés, négociant.

Le tribunal a condamné les cinq ouvriers à 5 jours de prison et les négocians à 3 mois de prison, et tous solidairement aux frais.

M. le Président a ensuite adressé une allocution dont l’intention est sans doute bienveillante, mais qui reposant sur une base fausse ne peut qu’être oiseuse.

Notes de fin littérales:

i Nous sommes obligés de blâmer la conduite de M. Chanaymaître Chanay en cette occasion, quoique nous apprécions les motifs qui l’ont déterminé. A côté de l’intérêt des prévenus se trouvait l’intérêt plus grand de la société. La question des coalitions ou pour mieux dire des associations d’ouvriers est une question neuve. Nous l’avons envisagé sous un point de vue nouveau dans le dernier numéro de l’EchoL’Écho de la Fabrique, et nous avons vu avec plaisir notre opinion personnelle partagée par M. Anselme PetetinAnselme Petetin, dont on ne conteste pas le talent comme publiciste, nous aurions désiré que l’avocat des tullistes profitât de cette occasion pour obtenir la sanction légale de nos principes. Il est temps de commencer le combat entre les vieilles doctrines et celles qui surgissent : l’occasion était belle, on a eu tort de ne pas en profiter. Le sort des prévenus ne pouvait en aucun cas être aggravé par une discussion de principes, sage, mais forte ; mesurée, mais indépendante. Espérons qu’en appel cette discussion pourra s’ouvrir.

 

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