L'Echo de la Fabrique : 11 décembre 1831 - Numéro 7

HISTOIRE DE JACQUES1.

Suite. (Voyez notre N° 3.)

Jacques avait revu son drapeau ; et croyant voir un terme à tant de misères, doutait encore s'il était dans le meilleur des mondes possibles. En effet, les cruelles vicissitudes auxquelles la vie de l'artisan est en proie, vinrent obscurcir de nouveau l'horizon. Jacques délégué par ses concitoyens avait obtenu, de concert avec d'autres députés, des stipulations où l'ouvrier aurait trouvé un refuge contre l'infortune. Mais un génie malfaisant suggéra au riche de ne faire aucun cas du contrat d'honneur qui assurait au pauvre son salaire. On parla de lois, de constitution, et on oublia de parler de l'amélioration du sort de la classe ouvrière. Jacques voyait venir l'orage et soupirait parce qu'il aimait son pays, parce qu'il redoutait les dissensions civiles. Ses funestes prévisions s'accomplirent ; le jour marqué par la mort arriva... Il ne fut point de ceux qui soutinrent le choc ; son ame généreuse répugnait à la seule pensée de répandre le sang Français ; et celui qui avait bravé vingt ans la mort sur le champ de bataille, resta spectateur immobile du drame sanglant qui désola pendant plusieurs jours la cité qui le vit naître. Il était au milieu de sa famille, et son c?ur se brisait chaque fois que les détonations de l'artillerie ou les feux de bataillons lui annonçaient que ses concitoyens s'immolaient entr'eux. Vingt fois il saisit son arme pour aller se ranger auprès de ses amis ; mais les pleurs de ses enfans, les angoisses de sa compagne, et plus encore, la pensée que ce n'étaient point des étrangers mais des Français qu'il fallait combattre, firent tomber de ses mains cette arme autrefois si terrible contre les ennemis de sa patrie.

[8.1]Enfin ces scènes sanglantes eurent un terme, et Jacques, pur du sang Français, ne songea qu'à préserver la cité du désordre, suite inévitable des guerres civiles. Les vainqueurs en appelaient aux bons citoyens. La voix de la patrie se faisait entendre au fond de toutes les ames généreuses. Jacques ne fut point sourd à cette voix ; il sortit de cet asile méprisé par l'opulence et qui devait servir de retraite à ceux qui avaient osé le dédaigner ; il rassembla les ouvriers dont il fut nommé le chef, et se porta aux lieux menacés par des êtres étrangers à la ville et à son industrie : sa présence ne contribua pas peu à ramener l?ordre. Les vainqueurs n'étaient mus par aucun sentiment de haine ; ils oubliaient déjà les mauvais procédés des grands, et le sang que leurs frères avaient versé en repoussant une injuste agression, quand Jacques fut reçu par eux avec acclamations ; le ruban qui parait sa boutonnière semblait briller d'un nouvel éclat. Arrivé au milieu de cette population admirable après la victoire, il lui montra le drapeau qui flottait sur l'Hôtel-de-Ville, et après une courte harangue où il invitait, au nom du la patrie et du Roi des Français, tous les citoyens à lui prêter aide pour rétablir l'ordre et la paix, il disposa lui-même des piquets pour empêcher toute dévastation. Enfin, ceux qui, quelques mois avant, l'avaient humilié, lui demandèrent un asile : il le leur donna dans sa modeste demeure, non pas comme une faveur, mais comme un devoir sacré pour tous les Français.

La tranquillité fut rétablie, et Jacques se dérobant aux félicitations de ceux qu'il avait servis, rentra dans son humble réduit, le c?ur plein du sentiment qu'éprouve l'homme vertueux après une bonne action.

L'héritier du trône venait apporter la paix sur ces rives désolées ; il était entré dans cette cité fumant encore du sang de ses enfans. Jacques se précipita sur son passage. Sa voix ne fit point entendre des cris d'alégresse ; son c?ur était oppressé par le souvenir de trop de malheurs ; mais l'?il du vieux guerrier s'enflammait à la vue du jeune prince, appelé à les réparer, et sur son front couvert de rides brillait ce feu qui l'animait à Dresde et à Leipsick. Le cortège avait disparu du milieu de l'immense population, et Jacques se retira en disant : Voilà l'espoir de la patrie ! et si jamais l'ennemi menaçait d?envahir notre territoire, alors, et seulement alors, je ressaisirais mes armes, et je tâcherais de vaincre ou de mourir auprès de S. A. R !

Notes de base de page numériques:

1 Antoine Vidal est l?auteur de cette Histoire de Jacques.

 

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