L'Echo de la Fabrique : 5 mai 1833 - Numéro 18

Littérature.

L?Homme Rouge, satire hebdomadaire et en vers de MM. Veyrat et Berthaud, poursuit sa brillante carrière, La cinquième livraison qui vient de paraître ne le cède en rien à ses aînées. Il ne nous est pas possible de citer tous les vers heureux, toutes les pensées fortes qui abondent dans cette ?uvre de conscience exécutée avec talent. Nous emprunterons seulement à la 4livraison qui a pour litre : La royauté, et qui est dédiée aux rédacteurs de la Tribune, le morceau suivant qui la termine :

Citoyens.? Sans poursuivre un mirage de sable,
Vous creusez dans le roc votre ?uvre impérissable ;
Qu?importe si l?éclat du bloc que vous taillez
Saute au front des passans par la fange souillés ?
A tous les noms salis vous devez l?infamie,
Et quand sur ses forfaits Lutèce est endormie
?
Il faut monter au front du palais Borgia,
Faire sauter le B et qu?on lise orgia.

M. Léopold Curez, de Verdun-sur-Meuse, ex-sous-officier d?infanterie, auteur d?une Epître amoureuse d?Héloïse à Abeilard, qu?on lit avec intérêt après celles de Colardeau1 et de ses nombreux émules, vient de se lancer dans la même carrière de la satire politique. Le prospectus de Tisiphone a vu le jour, et sa lecture nous permet d?encourager le jeune poète. Il débute ainsi :

Moi, pour divinité, j?ai choisi Tisiphone,
Un dard lui sert de sceptre, un serpent de couronne,
Ses ongles venimeux harponnent les tyrans,
Rongent l?or de leurs main sur leurs trônes sanglans,
Et leur jettent au front le soufre et le bitume
Qu?elle broie en courroux dans son creuset qui fume.
Point de grace au parjure, et de sa dent d?acier
Quand elle heurte un trône elle sait le scier.
Tisiphone, quel nom ! Némésis, Asmodée,
Ce sont des noms trop doux pour graver mon idée,
Et pour crier aux rois, dans leur profond sommeil,
Que le flot populaire inonde leur réveil ;
Oh oui ! c?est à présent qu?il nous faut des furies,
Pour fouiller aux lambris des longues Tuileries,
Pour exhumer enfin de ces murs ténébreux
Tant de royaux forfaits séculaires comm?eux.
Arme-toi, Tisiphone ! et va dans leurs repaires,
Fouetter le front des rois de tes n?uds de vipères.

Courage Veyrat, Berthaud, Curez ; rendez-nous sur les rives du Rhône ce que la France a perdu par l?apostasie de Barthélemy.

Les Prométhéides ou Revue du Salon de 1833, nous présentent un spectacle plus doux pour reposer nos yeux. La 6e livraison vient de paraître ; elle a pour titre Les Singes. L?auteur voit en songe tous les maîtres de l?art,
Titien, Raphael, Guide, Corrège, Albane2,
et de vigoureux coups de fouet sont distribués à tous les artistes qui, sans talens, cherchent à les singer. Ce cadre, pour n?être pas neuf, n?en est pas moins agréable et manque rarement son effet. Une versification heureuse, une connaissance approfondie de la peinture décèlent deux artistes-poètes dont le public attend avec impatience que les noms lui soient révélés.

[7.1]L?Europe Littéraire vient d?acquérir du bibliophile Jacob la Chronique pittoresque des rues de Paris. Cet ouvrage important et curieux sera publié par fragmens.

Le n° 27 contient une fable morale de Ch. Nodier, qui a pour titre : L?Homme et la Fourmi, qui ne déparerait pas les ?uvres philosophiques de Voltaire lui-même.

Notes de base de page numériques:

1 Charles-Pierre Colardeau (1732-1776), poète et auteur dramatique français.
2 Titien (1489-1576), Raphaël (1483-1520), le Guide (1575-1642), le Corrège (1489-1534), l?Albane (1578-1660), peintres italiens de la Renaissance.

 

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