L'Echo de la Fabrique : 5 mai 1833 - Numéro 18

Cinq mai mil huit cent vingt-un.

Dis-moi soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ?

Il y a douze ans qu’à pareil jour NAPOLÉON est mort victime de la foi anglaise. Ste-HélèneSainte-Hélène recèle les cendres de l’illustre capitaine. La France sera-t-elle toujours privée de ce dépôt précieux, et la colonne de la place Vendôme attendra-t-elle long-temps encore la statue qui doit couronner son faite ?

« C’est quand le soleil ne sera plus (s’écrie lord Byron1 en apprenant cette mort prématurée) que l’on oubliera les épidémies et les tempêtes que ses chaleurs ont causées pour n’admirer que son éclat, sa lumière et sa force.

« Le héros est tombé sous la faulx des noirs génies ; muses brisez vos harpes glorieuses ; pleurez, bardes, le grand homme n’est plus.

« France, dis-moi ce qu’est devenu cet astre superbe qui naguère faisait jaillir sur toi des flots de lumière et des gerbes de laurier ! – Dieu des combats, dieu terrible, ton bien-aimé n’est plus.

« Et vous, dieux de la gloire, muses, génies des arts, venez semer avec moi quelques fleurs sur sa tombe solitaire.

« Géant des victoires, roi des bataillons armés que les rochers et les mers, que le plomb et la foudre ont respecté ! ô toi qui seras éternellement la honte des enfans de l’Angleterre, tu n’es plus ! Pleurez, fidèles anglais ;… l’exécration de la postérité vous punira de l’hospitalité violée.

« Un roc sauvage au fond des mers était l’asile de celui qui occupa le premier trône, qui vit autour de lui une cour de rois ;… comment un si grand homme est-il tombé ?… Ah ! son âme fut ingrate ; il crut qu’il ne devait sa gloire qu’à lui seul ; une folle démence s’empara de son grand cœur, et ceux qui lui avaient dit : « Sois notre chef, mais nous sommes tes frères » devinrent ses esclaves. Cependant son peuple ne l’eût point repoussé si la trahison n’eût conspiré sa ruine. Il fallut que toute l’Europe se soulevât, et dix-sept armées marchèrent non sans trembler contre Napoléon ; Hélas ! maintenant qu’il est tombé l’admiration n’a plus d’alimens. Il n’y a plus un grand être dans la race des hommes..

« Infortuné monarque, quand tu vins comme Thémistocle te livrer à tes ennemis, savais-tu bien qu’ils te préparaient six années de tortures ? Dirai-je les horreurs d’une captivité odieuse, les geôliers inhumains, l’inquisition hideuse qui environnèrent l’homme du siècle… seul au bout du monde !… et il s’était assis sur le trône de la France.

« L’ange de la mort s’approcha, mais en tremblant ; jamais sa faulx n’avait tranché une vie si grande et des jours si pleins… Le soleil se leva quarante fois sur l’agonie du grand homme, et quarante fois le noir squelette recula devant lui.

[4.2]« Il demanda qu’on le portât sur le rocher nu, et qu’on tournât vers la France ses yeux déjà appesantis par la main de fer du génie des tombes. Il étendit vers le sol européen ce bras autrefois si redouté, et s’écria d’une voix brisée : « O France je ne te verrai plus… et vous, champs des combats, témoins de mes victoires, vous serez muets au jour de ma mort ; et vous, monumens durables que j’ai fondés, mon nom ne charge plus vos colonnes, vous m’oubliez aussi… O France ! ô ma patrie ! nous avons eu ensemble des jours de gloire. Ah ! si du moins ma chute et ma mort te donnaient des siècles de liberté !… Adieu braves qui marchiez avec moi à la victoire ! – Adieu grand peuple !… Et vous, épouse infortunée ; fils plus cher encore… oh ! adieu pour toujours… Adieu, ô France ! jouis-en paix de tes souvenirs ; conserves ta liberté que j’ai trop enchaînée !… »

« Et moi (ajoute lord Byron), étranger à la France, compatriote des bourreaux de Napoléon, j’ai voulu jeter quelques fleurs sur sa cendre pour cacher l’opprobre de mon pays. » (La Mort de Napoléon, dithyrambe par lord Byron, trad. par Alfred de La F.... 1821).

« Citoyens, portez aujourd’hui le deuil du consul ; soldats, voilez de crêpes funèbres l’étoile de l’honneur.

« Il est mort, son ambition tant accusée ne pèse plus sur l’Europe… mais d’autres ambitions plus dangereuses ne menacent-elles pas la terre ? La Grèce ne fera-t-elle que changer de maîtres ? La vieille Italie gémira-t-elle éternellement sous le joug ? Et l’Europe, veuve de gloire, sera-t-elle long-temps stérile pour la liberté ? Hélas ! la seule erreur de sa vie fut de demander le diadème et de consentir à nommer frères tous ces rois auxquels il eût commandé premier magistrat d’un peuple libre. Napoléon n’est plus ; il dort à la porte de la cabane, sous l’ombrage du saule étranger, au doux bruit de la fontaine solitaire. Onde pure, sois désormais sacrée… tu désaltéras le héros… tu le désenchantas des grandeurs ; tu lui inspiras des remords de liberté… Que tous les rois ne peuvent-ils boire à ta source… Quand il exhala sa grande ame, il rejeta loin de lui la pourpre impériale et s’enveloppa pour l’éternité dans le manteau de Marengo. » (Alexandre Goujon2. Hymne à la Vierge d’août, 15 août 1821.)

Que ce jour, cinq mai, soit donc désormais un anniversaire sacré ! Qu’une fête nationale console les mânes du grand homme. Le général et le consul Bonaparte ont trop fait pour la France pour que la France ne pardonne à l’empereur Napoléon.

Notes de base de page numériques:

1 Byron (1788-1824), poète anglais, il rédige La Mort de Napoléon, dithyrambe, en 1821.
2 Alexandre Goujon, Hymne à la vierge d’août, Paris, chez les marchands de nouveautés, août 1821.

 

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