L'Echo de la Fabrique : 19 mai 1833 - Numéro 20

Profession de foi.

C?est un droit naturel qu?a chaque homme de se développer physiquement, moralement, intellectuellement, sans nuire aux intérêts de la société.

Vous dites d?un arbre qu?il pousse en liberté quand ses rameaux s?étendent dans tous les sens, sans obstacles qui l?empêchent de produire quand rien ne le prive d?air ni de soleil.

Nous appelons libre l?homme auquel la société permet de développer les penchans de sa nature physique, de son c?ur et de sa raison.

Nous dirions tous les Français sont libres, si la misère ne condamnait un grand nombre d?entr?eux à des habitations malsaines, c?est-à-dire aux scrofules, au rachitisme et à la phtysie. Si, pour eux, travailleurs et pauvres, les chances de la mort n?étaient doubles de ce qu?elles sont pour les gens aisés ; si l?ignorance et l?absence de toute éducation morale n?étaient leur lot, comme l?hospice, la prison, le bagne et l?échafaud !

Différens en cela des patriotes inconséquens, de ceux qui n?ont su embrasser d?un coup-d??il la vue entière de la société, nous ne demandons pas seulement des droits politiques et nous ajoutons :

Il faut au peuple une habitation salubre, une nourriture saine ; donc toutes les lois qui ont pour but d?ajouter à son bien-être matériel contribuent à sa liberté physique. C?est pourquoi nous réclamons de grands travaux publics destinés à relever le prix des salaires, la démolition et la reconstruction des quartiers insalubres [1.2]habités par les ouvriers, et toutes les mesures propres à favoriser le développement industriel, agricole et commercial de la France.

Il faut que chaque homme atteigne le maximum de développement qu?il lui est donné d?acquérir sous le rapport de la moralité et de l?intelligence ; de là, la nécessité d?un vaste système d?éducation que nous ne cessons de réclamer, car si nous voulons que le peuple aime et défende la liberté et les bonnes institutions, il faut qu?il soit assez éclairé pour comprendre cette liberté et sentir le prix de ces institutions.

L?égalité, telle que nous l?entendons, n?est nullement hostile à la société. Nous n?avons jamais cru à l?égalité absolue, car nous reconnaissons que celui-ci est beau, cet autre fort, cet autre intelligent, cet autre est un modèle de moralité ; mais nous proclamons que tous les hommes ont le même droit à une éducation qui développe en eux le physique, le moral et l?esprit. Aussi demandons-nous :

1° L?institution primaire gratuite pour tous les enfans des pauvres ouvriers ;

2° L?instruction secondaire gratuite pour tous les enfans meilleurs sujets des écoles primaires dont les parens sont pauvres ;

3° L?instruction gratuite dans les colléges pour les meilleurs sujets des écoles secondaires (nés de parens peu fortunés) ;

4° L?instruction gratuite dans les écoles polytechnique, normale, de médecine, de pharmacie, de droit, d?administration (celle-ci existera sans doute bientôt), pour les meilleurs sujets des colléges auxquels leurs parens ne pourraient pas payer cette instruction plus élevée.

Pour compléter ce système d?égalité, il suffirait d?établir qu?à l?avenir toutes les places, toutes les fonctions ne seraient accordées qu?à la suite d?un noviciat et d?épreuves sévères.

Alors, en effet, toutes les carrières seraient ouvertes au fils du pauvre comme à celui du riche. Le talent seul serait une ligne de démarcation. Il n?y aurait plus d?aristocratie que celle de la capacité : le savant, l?industriel, l?artiste, seraient au sommet de l?échelle sociale dont les oisifs et les imbéciles occuperaient le dernier échelon.

Vivre, tel est le droit que nous confère la nature ; [2.1]vivre heureux, tel est celui que devrait nous conférer la société, tel est celui que nous aurions tous, si chacun de nous était assuré de recevoir de l?éducation dans son enfance, d?avoir du travail pendant son âge de force, une retraite dans ses vieux jours. Or, nos principes d?association conduisent directement à cette immense amélioration. Nous espérons qu?un jour l?ouvrier, après avoir passé sa vie dans les ateliers, aura sa retraite aussi assurée que l?employé du gouvernement ; et nous dirons à tous (car telle est notre mission de journaliste) qu?une réforme dans le mode et la répartition du travail, dans les principes actuels, doit nous conduire nécessairement et irrévocablement au but désiré.

Hommes de toutes les nuances, hommes de toutes les opinions, voila les conséquences des principes qui nous dirigent, de ces principes d?ordre et de prospérité, d?harmonie et de bonheur pour tous, que nous résumons dans ces trois mots : Liberté, égalité, association !

 

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