L'Echo de la Fabrique : 9 juin 1833 - Numéro 23

 LE MONT ST-MICHEL.

« A trois lieues d?Avranchesi, il est une baie que la haute mer couvre, et qui pendant la marée basse ne présente qu?une plage aride et couverte d?un sable que le vent balaie. Au milieu de cette baie ou de cette plage s?élève un immense rocher ; il a 400 pieds d?élévation, et au sommet de ce rocher la main de l?homme a élevé une construction qui a été fortifiée de murailles, bâtiment affreux à voir, et dont le faîte est à 800 pieds de la mer.

C?est là le fort St-Michel. Il est à deux lieues de toute terre habitable, isolé comme ces anciens couvens de la Thébaïde, où la vie commençait et finissait dans la solitude.

Ce fut aussi un ancien couvent construit dans le douzième siècle, absolument comme les pyramides d?Egypte, à grands renforts d?hommes et de corvées, que commandait l?évêque d?Avranches, si prodigue de redoutables excommunications.

Le couvent devint ensuite célèbre par les saturnales de ceux qui l?habitèrent : peu à peu la religion fit place à la politique. Là furent perfectionnées les oubliettes qui donnaient d?une fenêtre de la maison dans un puits de 400 pieds, où des faulx croisées se trouvaient placées de distance en distance. C?est là que le gouvernement envoyait ceux dont il voulait se défaire à petit bruit, et la terrible trappe de St-Michel était, dans le pays, un mystère horrible dont la tradition a conservé le plus affreux souvenir. C?est encore au fort St-Michel que se conservaient ces cages de fer longues de six pieds, hautes de trois, où un homme passait sa vie assis et courbé, jamais debout, et recevait dans cette tombe, faite d?avance, un peu de pain noir qui entretenait [5.2]ses forces assez pour qu?il pût sentir peu à peu son interminable agonie. Une de ces cages subsiste encore : c?est celle où Louis XIV fit enfermer un gazetier de Hollande qui s?était permis de parler mal du grand-roi ; qui sait !? peut-être d?assurer qu?il avait trop de maîtresses? N?avait-il pas mérité sa punition ?

L?empire fit fortifier le Mont-Saint-Michel pour que les Anglais n?en pussent pas faire un poste militaire.

Depuis ce moment, il est devenu une maison de détention. »

Nous avons emprunté à la Tribune la description qui précède.

C?est dans cet affreux séjour de mort que quelques-uns de nos concitoyens, qui n?étaient condamnés qu?à la détention ou à la déportation, vont être confinés en vertu d?une ordonnance du roi du 5 mai, contresignée par M. Thiers1.

Jeanne, dont nous avons entretenu les lecteurs (voir l?Echo, n° 19, p. 152.), Buttoud Buttoud, vieux soldat d?Egypte, d?Italie, de la Moscowa et de Waterloo, ont déjà été enlevés de Ste-Pélagie pour y être transférés. Ils seront bientôt suivis de Fourcade, Faccoriz, Lepage, Prospert, Ydot, Desaulle, Bainse, Louissette, Amyot, Boyer, Lasut, F. Rousselin, Rojon jeune, Leclair, Lacroix, Forget, Levayer, Brocard, Vairon, Laporte, Larronde, Depoix, Marchand, Hotteaux, décoré de juillet, F. Vigouroux, E. Gaillard, Dupain, Toupriant, St-Etienne, Hassenfratz, etc.

Que Dieu et la France leur soient en aide !

Notes de base de page numériques:

1 Depuis les premières années de la Révolution française, l?abbaye du Mont-Saint-Michel avait été transformée en lieu de détention et de travail forcé. Au début des années 1830, c?est là qu?étaient internés de nombreux républicains.

Notes de fin littérales:

i Département de la MancheManche.

 

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