L'Echo de la Fabrique : 16 juin 1833 - Numéro 24

FAILLITE DE CLAUDE COLIN ET Ce.

Une note au bas du compte-rendu de la séance du conseil des prud?hommes du 18 avril dernier (V. l?Echo, n°16, p. 128), est ainsi conçue :

« Rendez, rendez, dit le conseil, ce qui appartient au négociant, plus, les cordes et la façon du laçage, quoique ce soit la propriété du chef d?atelier ; mais vous, travailleurs, attendez, prenez patience, l?on vous promet du vous payer de suite ; si l?on ne vous paie pas, vous ne pouvez perdre ; voit-on des négocians faillir ? »

Une affaire bien simple était cause de cette note. Le sieur Berger, créancier de Colin et Ce d?une somme très forte pour le montant de ses façons, les faisait appeler devant le conseil pour obtenir son paiement, il se refusait en même temps à rendre les cartons et dessins dont il était en possession, et qui pouvaient, jusqu?à un certain point, lui servir de gage pour sa créance ; mais le conseil, malgré l?opposition des huit prud?hommes chefs d?atelier, condamna Berger à rendre ; il rendit? Aujourd?hui il n?est pas payé, et les négocians, ses débiteurs, ont failli? Nous ne pensions pas que nos réflexions recevraient sitôt une application déplorable.

Voit-on des négocians faillir ? demandions-nous avec ironie à MM. les prud?hommes négocians ; leur jugement a dit non, contre toute vérité ; mais la faillite du sieur Colin est venue démentir ce jugement et donner à nos paroles une sanction que nous étions loin de croire aussi prochaine.

Le sieur Berger n?a pas été seul dans ce cas ; d?autres ont été également victimes de cette jurisprudence partiale en faveur des négocians. Le sieur Verrier, l?un d?eux, en a fait dernièrement des reproches au conseil en pleine audience. Il ne fallait pas rendre, lui dit M. Goujon, mais c?est vous qui l?avez ordonné, répliqua le chef d?atelier. M. Goujon ne répondit rien.

On le voit : c?est en s?écartant du principe d?égalité entre les négocians et les fabricans que le conseil a été amené à ce fâcheux résultat. Puisse la faillite Colin lui dessiller les yeux. Puisse cette faillite l?enseigner à revenir aux principes du droit qui sont aussi ceux de l?éternelle justice. Ces principes lui apprendront qu?ouvriers et marchands sont égaux. Qu?il n?y a point de supériorité entr?eux, que les marchands ne sont pas les chefs naturels des ouvriers ; que ces derniers ne sont nullement tenus à la subordination envers eux, comme l?a dit naguère devant la cour, dans le procès de l?Echo de la Fabrique, et d?une manière que nous ne voulons pas qualifier, un avocat dont nous estimons d?ailleurs le talent et le caractère.

Qui rendra, en attendant, aux ouvriers de la maison Colin le gage qu?ils ont laissé échapper par ordre du conseil, et qu?importe que plus tard leur privilége soit reconnu s?ils ne trouvent plus rien sur quoi exercer ce privilége, et c?est, nous a-t-on dit, ce qui va arriver.

Nous bornons là, quant à présent, nos réflexions. Nous pourrons revenir sur ce sujet important.

 

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