L'Echo de la Fabrique : 4 août 1833 - Numéro 31

Extrait du Temps.

Le Temps ne partage pas nos principes ; il suit une ligne politique différente du National, de la Tribune, du Précurseur, de la Glaneuse, et des autres journaux avec lesquels nous sommes en communion directe ; mais il est ami du progrès. Ses opinions ont acquis, par suite de sa réserve habituelle, une importance que nous ne pouvons contester. Nous pensons, au contraire, lui rendre hommage en citant textuellement l?article suivant inséré dans un de ses derniers numéros.

DE L?ORDONNANCE SUR LE CONSEIL

des prud?hommes.

« Une ordonnance, rendue le 15 janvier 1832, régularisait l?institution des prud?hommes dans la fabrique de Lyon. Le nombre de ces juges de paix était porté à dix-sept, savoir : neuf fabricansi et huit chefs d?atelier. Les journaux de Lyon nous ont fait connaître, il y a quelques mois, les dissentions qui s?étaient introduites dans ce tribunal d?arbitrage, et par suite desquelles le conseil des prud?hommes était en pleine dissolution. Nous avions prévu ce résultat inévitable d?une organisation vicieuse. Un tribunal appelé à juger les contestations [3.2]journalières qui s?élèvent entre les fabricans, les chefs d?atelier et les ouvriers, devait représenter tous les intérêts ; or, dans le système de l?ordonnance, les ouvriers n?étaient point représentés ; ils se trouvaient jugés par des fabricans et par des chefs d?atelier, mais aucun des leurs ne concourait à ce jugement. L?ordonnance qui prononçait cette injuste exclusion n?établissait pas d?ailleurs l?égalité des intérêts dont la représentation était admise. En appelant dans le conseil neuf fabricans contre huit chefs d?atelier, on avait placé les derniers dans un état d?infériorité relative, qui n?a pu les humilier sans irriter des ressentimens mal contenus.

« L?ordonnance du 21 juin n?est pas de nature à calmer cette irritation ; car elle ne donne satisfaction à aucun des intérêts méconnus par le réglement antérieur, et porte même atteinte aux droits acquis. Les dix-sept prud?hommes sont divisés en deux classes, neuf titulaires et huit suppléans. Parmi les 9 titulaires on compte 5 fabricans et 4 chefs d?atelier ; en sorte que les chefs d?atelier, qui avaient entrée au conseil dans la proportion de huit à neuf, n?y seront plus que dans la proportion de quatre à cinq. Or, si l?on considère que les chefs d?atelier forment dans la fabrique une classe beaucoup plus nombreuse que celle des fabricans, et qu?ils sont dans le conseil les mandataires indirects des ouvriers, on conviendra que le gouvernement donne bien peu de garanties à des intérêts qui sont ceux de quatre-vingt mille personnes.

« Nous ajouterons que l?ordonnance ne remplit point l?une des conditions les plus essentielles de la loi, qui est le respect des droits acquis. Les élections des prud?hommes, faites sous l?empire de l?ordonnance du 15 janvier, avaient conféré à tous les élus le même mandat ; il ne dépend ni de ces mandataires d?abdiquer le mandat ou une partie du mandat, en échangeant les droits du titulaire contre les droits du suppléant, ni du gouvernement de leur retirer des droits qu?il ne leur a pas conférés. Si l?on veut que l?ordonnance du 21 juin soit exécutoire, il devient nécessaire de dissoudre le conseil et d?indiquer de nouvelles élections.

« Le ministère s?applaudit probablement de la petite et illégale supercherie au moyen de laquelle il vient de renforcer dans le conseil la majorité des fabricans. Mais les fabricans ne peuvent pas envisager cette mesure avec la même indulgence. Ils ont intérêt à faire cesser la défiance et l?irritation qui les séparent des ouvriers ; et l?ordonnance ajoute à leurs embarras, en les présentant comme l?objet d?une protection exclusive de la part du pouvoir. Nous voyons avec douleur que tout concourt à la ruine d?une industrie qui était pour la France une source de richesse : le pouvoir, en abusant de son droit de tutelle au préjudice des classes les plus nombreuses ; les fabricans, faute de concert et de lumière ; les ouvriers, parce qu?ils veulent trancher la question par la supériorité du nombre. De chaque côté c?est la force que l?on invoque : elle se présente avec les fabricans et le pouvoir, sous la forme d?une occupation militaire assise sur un parc d?artillerie et sur des forts détachés ; avec les ouvriers, c?est une vaste association qui a des armes, des chefs et un gouvernement. »

Notes de fin littérales:

i C?est-à-dire négocians.

 

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