L'Echo de la Fabrique : 4 août 1833 - Numéro 31

AU REDACTEUR.

Monsieur,

Nous avons lu dans le Courrier de Lyon du 29 juillet, Paris, correspondance particulière, un article dont nous ne pouvons qu’en supplianti, vous demander l’insertion dans votre estimable journal :

« Une fille publique du quartier de la Cité étant dans un état complet d’ivresse, a frappé de cinq coups de couteau son amant, grenadier au 58e de ligne. Des crimes analogues se reproduisent souvent dans la capitale. Comment se fait-il que des créatures infames qui se livrent au débordement de leurs passions et qui naturellement devraient être blasées poussent si souvent à d’horribles extrémités le sentiment de la jalousie. Nous serions curieux de connaître à ce sujet l’opinion de MM. les phalanstériens, eux qui voudraient que chaque homme et chaque femme pussent lâcher la bride à leurs douze passions. »

Si cette note, d’une plate ironie, était conçue en termes tels qu’elle pût nous sembler dictée par une pensée consciencieuse, recherchant et voulant le bien, nous répondrions alors :

Que nos douze passions étant loi de dieu et principe actif de notre nature, peuvent et doivent être employées.

Que c’est de leur libre essor et de leur emploi intégral, que doit naître l’équilibre que la philosophie et la morale escobardent avec leurs codes de duperies et de mensonges.

Que c’est la méthode contraire procédant par voie de contrainte et de compression, qui engendre ce débordement de passions que nous appelons débauche.

Que l’ivrognerie, le vol et l’assassinat, ainsi que mille autres vices ou crimes, sont l’apanage indispensable de notre civilisation tant vantée, qui abandonnant la société au hasard, n’a su régler ni les rapports des hommes entr’eux, – ni rendre à la femme les droits que ceux-ci lui ont violemment arrachés ; – ni créer d’autres stimulans au travail que la faim, la prison ou le bourreau !

Que le nom flétrissant d’infame appartient seul à cet ordre social qui, outrageant l’humanité, arrache la femme des mains de la nature, la traîne dans la misère ; l’attache à l’homme comme une vile esclave, puis la jetant d’écueils en écueils, l’étouffe et la flétrit enfin dans la boue de la prostitution.

[4.2]Qui donc a mérité le nom d’infame ? – Est-ce la femme dont l’existence tout pleine d’amertume et de douleurs, est entourée de mille pièges dans lesquels elle est presque toujours forcée de succomber ? – Oh ! non. – Ce nom s’attache comme une plaie hideuse à cet ordre divinisé qui dote le peuple de maisons de loteries, qui cadastre les maisons de prostitution, et qui vend des brevets d’infamie ! à lui, à lui seul le nom d’infame.

Voila ce que nous répondrions à un homme de conscience, ami de l’humanité. – Mais nous avons pitié de la grossière fatuité du correspondant du Courrier de Lyon, et nous rougirions de lui répondre.

Que si nous avons aujourd’hui tracé ces lignes, c’est que nous avons voulu que ce preux chevalier sache qu’il est aussi en province des phalanstériens qui sauraient bien mettre un frein à ses dégoûtantes saillies, si son esprit lui en fournissait encore. – Alors nous le saisirions, et le traînant après nous dans le cloaque, nous saurions le forcer à se couvrir la face de la boue de cette civilisation pour laquelle il nous semble épris d’une passion tout-à-fait violente.

INFAME ! a-t-il dit. – Nous serions bien malheureux si ce mot ne devait bientôt disparaître devant la réalisation de la théorie sociétaire de Charles FOURRIER.

Un phalanstérien.

Notes de fin littérales:

i Note du rédacteur. – Nous n’avons pas besoin d’être priés pour insérer cette lettre ; car nous aussi nous trouvons infame la conduite de la société qui appelle infames ceux qu’elle a livrés elle-même à l’infamie. Nous n’avions pas cru devoir relever cette platitude au milieu de celles dont le Courrier de LyonCourrier de Lyon abonde. Puisqu’elle en a frappé d’autres nous sommes bien aises qu’on en fasse justice. Mais de quoi vivra donc le CourrierCourrier de Lyon s’il faut qu’il s’en abstienne, ce plat valet du juste-milieu lyonnais ?

 

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