L'Echo de la Fabrique : 4 août 1833 - Numéro 31

UN DISCIPLE DE CHARLES FOURRIER

a ses concitoyens.

De la situation de l?Industrie lyonnaise.

Il y aurait de notre part une négligence impardonnable, si nous restions plus long-temps en dehors de la [6.2]polémique sur la question si grave de l?industrie lyonnaise, engagée particulièrement entre les journaux le Commerce et le Précurseur.

Le rédacteur en chef de l?un d?eux, M. Anselme Petetin, qui s?est élevé par son talent au rang des publicistes les plus distingués de notre époque, a, selon nous, parfaitement compris cette question. ? Il a bien senti que, pour sauver la fabrique lyonnaise, il fallait se hâter d?en rallier les élémens ; et avec cette franchise de caractère que nous lui avons toujours reconnue, il a donné comme solution de ce problème difficile, l?association combinée des travailleurs, chefs d?atelier et fabricans. ? Il a, ce nous semble, assez clairement démontré l?énormité des frais d?exploitation occasionnés par le morcellement de la fabrique, et les immenses avantages qui résulteraient d?une combinaison qui embrasserait à la fois les trois facultés productives : travail, capital et talent, pour qu?il soit inutile de rien ajouter à ses argumens. ? Comme lui nous pensons que la classe des petits fabricans doit disparaître ; et nous pensons encore, n?en déplaise au Journal du Commerce, qu?elle tend aujourd?hui à se transformer rapidement en grandes exploitations.

Deux voies lui sont ouvertes : l?une est celle dans laquelle elle se trouve placée maintenant ; mais cette voie, et nous prions qu?on y réfléchisse, est précisément celle qui produirait le monopole que le Journal du Commerce paraît craindre si fort. ? En effet, personne ne nous contestera les fâcheux résultats que produit la concurrence ; car, bien que la production soit toujours à peu près la même, les frais d?exploitation qui s?accroissent en proportion du nombre des fabricans toujours grossissant, arrachent à l?industrie une somme exorbitante de bénéfices, ? diminuent incessamment le salaire des travailleurs, ? et enfin menacent les grandes manufactures. Aussi les voyons-nous réunissant tous leurs moyens, multipliant tous leurs efforts, tenter d?écraser la petite fabrique : elles y parviendraient, nous n?en doutons nullement, car elles n?ont pas, que nous sachions, les plus faibles armes de leur côté.? C?est bien alors que nous nous trouverions à la merci du monopole qu?a signalé le Journal du Commerce.

Mais une autre voie se présente, qui est l?association des trois ressorts du mécanisme industriel, capital, travail et talent ! Le Journal du Commerce a bien voulu penser que cette combinaison offrirait peut-être le gage d?une répartition meilleure des bénéfices entre les divers associés ; mais quel est donc l?étrange préoccupation qui lui a fait avancer cet argument, qu?a coup sur elle ne réaliserait aucune économie dans la production ? ? Pour tenir pareil langage, il faut en vérité être sans nulle idée des nombreux avantages du régime sociétaire ! et nous le prouverions à l?instant si déjà le Précurseur ne l?eut fait de manière à empêcher toute espèce de réplique sensée. Nous comprendrions tout au plus ce langage, s?il nous était permis de croire que le Journal du Commerce ne connaît ni FOURRIER, ni son école ; ni le journal de la réforme industrielle ou le Phalanstère, enseignant l?art d?organiser sociétairement les travaux de culture, fabrique, ménage, commerce, éducation, sciences et beaux-arts : nous certifions le contraire, et nous ne serons pas démentis.

Le premier défaut du projet présenté par M. Anselme Petetin, a dit le Journal du Commerce, est d?être d?une exécution presqu?impossihle dans l?état actuel de la fabrique lyonnaise. Oh ! s?il suffisait d?un trait de plume pour empêcher toute amélioration, anéantir toute invention utile, nous briserions aujourd?hui la nôtre : [7.1]? mais nous ne sommes plus au temps où toute pensée d?amélioration, toute découverte était honnie, repoussée ! ? Et bien qu?en naissant, notre siècle ait éconduit les Fulton et Lebon, inventeurs du bateau à vapeur et de l?éclairage au gaz, il ne saurait repousser aujourd?hui Fourrier et sa théorie sociétaire ; car nous en sommes à ce point maintenant, qu?il faut choisir entre la décadence de l?industrie, la ruine et l?émigration de la fabrique lyonnaise, ou l?organisation sociétaire, dont nous sommes ici, nous l?avouons en toute humilité, les bien faibles organes. ? Mais que demain la Presse fasse son devoir, tout son devoir, rien que son devoir, demain nous laisserons sécher notre plume.

Qu?importe le monopole du commerce de la soierie, si ce monopole est exercé au profit de tous !

Non, l?association ne détruira pas la concurrence, mais de destructive qu?elle est, elle la rendra productive.

Non, les améliorations et perfectionnemens de l?industrie ne seront point arrêtés : ils seront enrichis au contraire de tous les efforts que feront pour sa prospérité travailleurs, hommes de talent et capitalistes, quand tous seront assurés d?être équitablement répartis selon l?avance que chacun d?eux aura fait en travail, talent et capital !

Non, malgré les dire du Journal du Commerce, la classe des travailleurs ne se perpétuera point, comme il a l?air de le croire ; et nous demandons s?il n?est pas vrai, au contraire, que cette perpétuité (sauf quelques exceptions) soit précisément le lot inévitable de la masse.

En effet, comment croire que dans une combinaison où tous seront intéressés, tous ne veuillent pas assigner à chacun les fonctions qui lui seront le plus convenables, auxquelles il sera le plus apte ; dès que cette distribution sera avantageuse à tous, et qu?enfin au jour de la répartition, chacun pourra avoir cumulativement sa part de bénéfices en travail, talent et capital.

En vérité, c?est un amour bien singulier que l?amour du Journal du Commerce pour la classe des travailleurs ! et nous ne comprenons pas qu?avec le souvenir des tristes jours de novembre ! des soulèvemens d?Anzin ! de l?exaspération des ouvriers du Creuzot ! jetés dans la plus profonde détresse par une faillite inopinément survenue, ce journal puisse encore se passionner pour les vices monstrueux de notre système industriel et commercial. ? Et c?est en face d?une coalition vivante, dont les résultats seront l?anéantissement et la ruine de l?industrie lyonnaise, si on n?y apporte prompt remède, que le Journal du Commerce repousse avec une incroyable fatuité des améliorations qu?il ne comprend pas ou refuse de comprendre. En vérité, ceci est bien étrange?

Pour nous, qui n?avons pas mission de parler au nom d?une fraction de la société, soit monarchique, soit républicaine, mais qui parlons au nom de la société tout entière ! nous prions qu?on ne s?aveugle pas sur les dangers de notre situation. Elle est la pierre angulaire contre laquelle vient s?émousser toute théorie purement politique, et contre laquelle encore viennent se briser LES CANONS DES ROIS !

Insuffisance des produits et revenus actuels pour satisfaire aux besoins de la population, voila le véritable loyer des révolutions : et si les révolutions n?enrichissent pas les peuples, l?histoire est là qui nous dit que les rois doivent en être las comme eux.

Nous attendrons que le Précurseur ait présenté ses [7.2]moyens d?assurer aux travailleurs un minimum de salaire et une part dans les bénéfices de production ; nous sommes persuadés que cette proposition que le Journal du Commerce regarde comme un problème insoluble, n?arrêtera point M. Anselme Petetin dont nous avons beaucoup mieux apprécié le talent et les vues que ne l?a fait le Journal du Commercei.

R...... cadet.

Notes de fin littérales:

i L?auteur d?une lettre insérée dans le numéro du PrécurseurLe Précurseur du 19 juillet19 juillet 1833 dernier, et signée un membre de l?association pour la liberté de la presse, s?est trompé en avançant que l?expérience du Phalanstèrele Phalanstère n?était pas commencée.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique