L'Echo de la Fabrique : 25 août 1833 - Numéro 34

Au Rédacteur.

CONSEIL DES PRUD’HOMMES.

Monsieur,

En demandant pour le conseil des prud’hommes une législation écrite et par conséquent invariable, vous paraissez croire qu’elle remédiera à tous les abus qui pèsent sur l’ouvrier et nuisent à l’industrie en général ; je ne suis pas de votre avis ; et, comme, ainsi que vous je crois la question fort grave, je viens vous soumettre quelques observations.

Le conseil des prud’hommes est un véritable tribunal de famille composé des pairs des justiciables, et cette composition, et surtout l’absence de règles écrites, lui permettent de varier l’importance des peines selon la position des individus. Aussi voyons-nous la majeure partie des affaires arrangées à l’amiable et sans prononcé de jugement, ce qui ne serait certainement pas si le caractère du tribunal n’était pas tel qu’il est.

J’ai souvent entendu des ouvriers et même des fabricans se plaindre de ce que tel individu avait été acquitté ou seulement condamné à la moitié d’une amende qui, pour un cas identique, avait été prononcée entière contre un autre le jeudi précédent. Certes, cela ne saurait avoir lieu avec des règles écrites ; car elles sont inflexibles et les mêmes pour tous, et, selon moi, c’est un mal, car toutes les positions ne sont pas égales.

Le principe de l’égalité devant la loi est très beau, très libéral en théorie ; mais en pratique il est souvent [4.1]vide de sens et de justice. En effet, dans des affaires de police correctionnelle ou criminelles, nous voyons l’homme ignorant et l’homme instruit, le pauvre que la misère démoralise et qui n’a rien à désirer, soumis à la même loi, aux mêmes pénalités.

La loi écrite a un maximum que les juges ne peuvent dépasser, et un minimum au-dessous duquel ils ne peuvent descendre ; mais combien ne voyons-nous pas de malheureux auxquels la justice voudrait qu’on appliquât bien moins que le minimum.

L’autre jour un homme avait faim, sa femme était malade, son enfant en bas âge lui demandait du pain, il sort de chez lui honnête homme, et bientôt il y rentre coupable. Les juges auraient bien voulu l’acquitter, car ils ont des cœurs d’homme ; mais la loi est inflexible ; on applique le minimum : 1e malheureux ira en prison, et son enfant et sa femme mourront de misère loin de lui !

Si en demandant une législation écrite vous n’avez en vue que la régularisation des indemnités à accorder à l’ouvrier pour ses pertes de temps, je vous comprends, mais vous avez tort de généraliser.

Croyez-moi, une législation écrite, un code enfin, changerait entièrement le caractère conciliateur et paternel du conseil des prud’hommes, et les ouvriers surtout ne pourraient qu’y perdre.

En laissant dans le vague le prix et les cas des indemnités dues aux ouvriers pour le temps perdu, l’ouvrier est lésé ; car fort souvent il n’ose en appeler au conseil des prud’hommes de peur d’indisposer le fabricant qui l’occupe.

Il suffirait que le conseil établît le prix moyen de la journée de travail d’un métier, et qu’il arrêtât, en principe général, que toute perte de temps provenant du fait du fabricant, serait payée à l’ouvrier à raison du prix de la journée de travail.

Cette détermination remédierait à bien des abus en obligeant les fabricans à plus d’ordre et de prévoyance. Tout le monde y gagnerait, les fabricans aussi bien que les ouvriers, car la réforme des abus profite à tous, quelquefois même à ceux qui les commettent.

A. D.

Nous renvoyons au N° prochain la réponse à cet article.

 

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