L'Echo de la Fabrique : 25 août 1833 - Numéro 34

UN DISCIPLE DE CHARLES FOURRIER.

Suite de l?analyse des passions.

(Voyez le numéro du 30 juin.)

Les quelques développemens que nous avons déjà donnés sur le procédé sociétaire de Charles Fourrier, et sur l?emploi que doivent trouver dans l?application de sa théorie les sept passions animiques : alternante, fougue réfléchie, fougue aveugle, amitié, ambition, amour, et amour de la famille, passions qui, bien que [5.2]la philosophie et la morale en aient essayé la négation dans vingt systèmes, les uns par les autres modifiés, veulent être satisfaites ; puis sur l?état de lutte dans lequel la civilisation abandonne enfin la société, impuissante qu?elle est à tracer la nouvelle voie dans laquelle elle puisse se réédifier ! ? Ces diverses propositions, disons-nous, ont rendu inutile la critique que nous aurions pu faire de l?état de souffrance dans lequel se trouvent également les cinq passions ou besoins des sens. ? Ainsi, nous terminerons notre essai sur l?analyse des passions, par une esquisse rapide des motifs par lesquels l?ordre sociétaire sera tout naturellement amené à contenter les besoins des sens qui sont, comme chacun sait, le tact, la vue, l?ouïe, l?odorat et le goût.

Le tact : Par la propreté, l?ordre et même le luxe des ateliers, outils et vêtemens ; toutes choses relatives soit au travail, soit aux besoins personnels.

La vue : Par l?harmonie et la distribution des travaux, l?aspect des cultures riches de toutes les beautés que peuvent seuls concevoir et exécuter les hommes réunis et concourant ensemble au même but ; puis l?imposante majesté de l?édifice qu?habiteront les membres d?une phalange, renfermant à lui seul tout ce que l?ordre civilisé peut à grand?peine et à grands frais amasser d?agréable et d?utile, même dans nos capitales.

L?ouïe : Par le chant et la musique. ? Chacun sait l?influence qu?ils exercent sur les grandes réunions d?hommes ; et, comme Fourrier, nous pensons, que ces magiques leviers ne seront pas moins puissans à enthousiasmer les hommes au travail, qu?à les jeter sur un champ de bataille pour ne laisser après eux que dévastation et carnage.

L?odorat : Par le parfum salubre qui partout remplacera l?air infect de nos rues et carrefours encombrés de boues et d?immondices, et la malpropreté obligée des ateliers, où la misère et son cortège viennent si souvent s?asseoir avec le travailleur !

Le goût : Par la restauration de tous les produits tenant à la consommation ; produits que les concurrences industrielle et commerciale ont amené à un degré d?altération tel, que la société presque tout entière, est aujourd?hui l?indispensable victime de la lutte anarchique et destructive dans laquelle commerçans et industriels, soit pour arriver à la fortune, ou bien augmenter celle acquise, ou bien encore afin de la conserver, ne trouvent plus de chance avantageuse que dans la falsification des produits, par l?introduction de corps étrangers et plus ou moins dangereux à la santé publique, le tout pour la plus grande gloire de la civilisation, qui, dans sa haute sagesse, a proclamé la liberté illimitée du commerce.

Personne, nous le croyons toutefois, ne voudrait nier aujourd?hui l?urgence d?une réformation prompte et radicale de notre système industriel et commercial ; eh bien ! nous le disons avec une intime conviction, et sans crainte d?être accusés d?erreur, le régime sociétaire peut seul produire cette heureuse métamorphose, puisque seul il ouvre à tous voie de fortune et de bonheur par la pratique de la vérité, et qu?il est le seul lien qui puisse rallier les intérêts de chacun à l?intérêt général, et vice versa, et faire naître l?harmonie sans laquelle il n?est pour la société aucun gage de paix et de bonheur.

Sans doute notre tâche est grande et difficile, et l??uvre à laquelle nous nous sommes voués n?est pas de celles qui commencent et s?achèvent en un jour, nous le savons ; ? mais elle est de celles qui portent des fruits [6.1]à peine commencée ; et si notre marche est lente et mesurée, c?est que, confians dans l?avenir, nous voulons toucher au port sans naufrage. ? Et quand la voix de FOURRIER, pendant trente ans étouffée, est arrivée jusqu?à nous, et qu?enfin nous avons pris place avec lui dans l?arène où s?agitent les DESTINS DU MONDE ! croit-on nous arrêter par de plates saillies, ? de ridicules sarcasmesi ? Et ces écrivains, qui oublient leur dignité d?hommes et prostituent leur plume à la honteuse défense de toutes les plaies qui rongent la société, croient-ils nous en imposer par leur dégoûtant verbiage ? Croient-ils, ceci s?adresse aussi à Messieurs du Courrier de Lyon ; croient-ils, disons-nous, que parmi leurs lecteurs des hommes se trouvent qui pensent avec eux que la civilisation est une machine qui marche, fonctionne, et par laquelle on se laisse entraîner sans s?inquiéter du moteur dont elle reçoit l?impulsion : un arbre dont on recueille les fruits sans rechercher par quelles, mystérieuses lois la sève circule dans ses rameaux, la fleur se développe, le fruit, se forme et mûrit ??ii

Nous pourrions citer encore, mais nous en avons dit assez pour que nos lecteurs soient bien convaincus que Messieurs du Courrier de Lyon ne courent le risque ni de devenir fous, ni de mourir à la peine ; cela nous suffit.? Pourtant qu?il nous soit permis, en terminant cette petite digression, hommes de détails que nous sommes (comme on dit), d?adresser à ces messieurs une petite question que voici :

Que veulent dire ces mots : LIBERTÉ ! UNION ! ORDRE PUBLIC ! et par quelle voie arriverons-nous à l?état de choses que comporte cette légende, que ces messieurs placent chaque matin en tête de leur feuille ? Nous espérons qu?ils voudront bien nous répondre, à moins pourtant que cette question ne semble trop étroite aux grands esprits du Courrier de Lyon.

R...... cadet.

Notes de fin littérales:

i Courrier de LyonCourrier de Lyon, 29 juillet29 juillet 1833. (Corresp. particul.)
ii VARIÉTÉS. De la peine de mort. Courrier de LyonCourrier de Lyon, 7 août07 août 1833.

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique