L'Echo de la Fabrique : 27 octobre 1833 - Numéro 43

 TRIBUNAUX.

EXÉCUTION DE FAVARD.

La Gazette des Tribunaux rapporte ainsi les détails de l’exécution du nommé Favard, condamné à mort par la cour d’assises de la Dordogne :

Pendant la nuit du mardi au mercredi, la fatale machine avait été dressée au bas de la place de Prusse. Les ouvriers n’avaient pas voulu y travailler au jour. Un [7.1]temps viendra sans doute où ils refuseront entièrement leur aide pour cet horrible emploi.

Dès le matin, des groupes de curieux, qui peut-être ne songeaient pas au degré de moralité qu’on pouvait chercher dans leur conduite, stationnaient autour de l’échafaud et l’examinaient avec une curiosité qui souvent n’était pas sans effroi.

Cependant le malheureux Favard ignorait encore qu’il ne verrait pas la fin de ce jour qui s’était levé sur lui. Tranquille et plein d’espoir, car l’espérance chez ces misérables se nourrit de sa propre substance et prend des forces dans le temps même qui s’écoule après la condamnation ; tranquille et plein d’espoir, il attendait encore une commutation à sa peine, et cherchait des consolations dans la prière. Déjà plusieurs fois, depuis son entrée dans la prison, il avait reçu la visite de M. l’abbé Audierne, vicaire-général honoraire et secrétaire de l’évêché ; il lui avait même écrit la veille, pour l’appeler près de lui et réclamer ses secours et ses conseils.

Mercredi matin, à dix heures, M. Audierne se rendit à la chapelle, et célébra la messe à laquelle assistent ordinairement les prisonniers. Là, après l’office divin, lorsqu’il les vit tous silencieux et recueillis, il leur annonça la triste nouvelle, et leur dit que, pendant qu’il allait préparer le patient à la mort, M. l’évêque viendrait près d’eux pour réciter en leur présence les prières des agonisans.

On ne voulait point, en effet, laisser les prisonniers se répandre dans les cours, de peur que, par quelque indiscrétion, ils ne vinssent à révéler brusquement la vérité à Favard, à travers les barreaux mêmes de son cachot. Dès ce moment, la prudence ordonnait que toute communication fût interdite entre le condamné et ses compagnons d’infortune. Ces hommes, au reste, accueillirent les exhortations du jeune abbé avec un recueillement et une consternation qui prouvaient assez tout l’intérêt qu’ils prenaient au sort déplorable de Favard.

M. l’abbé Audierne, en surplis, se rendit enfin, à onze heures, auprès de l’assassin. Le malheureux ne fut point frappé d’abord de ces dispositions extraordinaires, et sur l’invitation du jeune prêtre, il confessa ses fautes sans qu’aucune idée de mort vint frapper ses esprits. M. Audierne prit alors la parole : « Humiliez-vous, mon fils, lui dit-il, qu’un repentir sincère plaide votre cause auprès de Dieu. Oubliez tout au monde pour ne songer qu’au salut de votre ame. » Favard ne comprenait pas encore…

« Vous ne devez pas vous dissimuler, reprit M. Audierne, que bien peu d’instans vous sont donnés pour vous réconcilier avec le ciel. » Le condamné frémit et leva les yeux effrayés sur le prêtre : « Oh ! mon Dieu, s’écria-t-il, est-ce que ce serait déjà le moment ! » Le silence du jeune abbé apprit tout au misérable ; il tomba à genoux, renversé sur la croix présentée à ses lèvres…

Ses larmes enfin commencèrent à couler. « Et mes enfans, et ma femme, s’écria-t-il : que vont-ils devenir après ma mort ? Ah ! M. l’abbé, il est bien cruel de mourir ainsi pour des scélérats qui m’ont trahi. Vous m’aviez dit que Dieu ne m’abandonnerait pas. Il m’abandonne, vous le voyez bien, puisqu’il permet ainsi qu’on me traîne à la mort ! »

Il faudrait et le zèle religieux et l’éloquence du jeune prêtre pour retracer ici les paroles qui surent relever cette ame abattue, et lui rendre la force nécessaire pour supporter une vie de souffrances qu’il avait à endurer pendant deux heures encore. Nous voudrions retrouver [7.2]ces expressions à la fois si simples et si touchantes, par lesquelles M. Audierne a bien voulu nous peindre lui-même ces derniers momens du condamné. « C’est une étude pénible, mais frappante, nous disait-il. Tout homme y pourrait puiser de hautes leçons de morale, et celles-là ne s’effaceraient jamais de sa mémoire. »

M. l’évêque de Périgueux vint joindre ses exhortations à celles de M. Audierne, et après avoir long-temps cherché à consoler le malheureux, après lui avoir donné la dernière bénédiction, il sortit pour aller à la chapelle rejoindre les prisonniers et pour réciter l’office des morts…

Favard se calma par degrés, et il avait recouvré quelque courage lorsque le bourreau se présenta devant lui. Mais alors son désespoir reprit toute sa première énergie. « Tuez-moi, tuez-moi ici ! s’écriait-il en se traînant à terre. – Est-ce là ce que vous m’aviez promis, Favard, lui dit M. l’abbé Audierne ? Ce que vous demandez est impossible, et, vous le savez, la résignation seule peut vous faire trouver grace auprès de la Divinité. »

Le jeune prêtre parvint encore à ramener un peu de calme dans l’ame du patient qui consentit à s’asseoir, et se prêta avec assez de sang-froid à ces tristes apprêts qu’on appelle la toilette du condamné. Enfin on lui lia les mains derrière le dos, et le lugubre cortège se disposa à partir. Favard refusa de monter dans la charrette qui l’attendait. « J’aurai plus de mérite aux yeux de Dieu disait-il, en faisant à pied le chemin qui me conduit au supplice. »

Sans doute il y avait là, chez lui, un désir secret de retarder l’instant fatal.

Avant de quitter la prison, il fit demander les sœurs de la charité, et leur témoigna sa reconnaissance pour les soins qu’elles lui avaient prodigués ; il remercia aussi le porte-clé et le concierge, et leur demanda à tous deux la permission de les embrasser, ce qui lui fut accordé sans difficulté. Il sortit alors, et se mit en route. Mais il avait à peine fait quelques pas sur les allées basses de Tourny, que, parmi la foule, il reconnaît un habitant de son village. « C’est toi, P…, lui dit-il ; ne me maudis pas, approche, viens m’embrasser pour la dernière fois ! – Non, certes, je ne le ferai pas ! répondit cet homme avec horreur ; et en même temps il s’enfuit, et se perdit au milieu de tous ceux qui l’environnaient. Favard resta quelques momens anéanti…

« De quoi vous occupez-vous, mon fils, reprit alors l’abbé Audierne ? Vous le voyez, le monde vous abandonne ! Détournez vos regards d’ici-bas, et tournez-les uniquement vers le ciel. »

Cette exhortation sembla le ranimer. Il continua sa route, soutenu par le jeune ministre, et demanda à faire les prières du Chemin de la Croix, prières longues, interrompues par quatorze stations qu’il fit toutes à genoux. Elles prolongèrent long-temps son supplice, mais à ses yeux elles éloignaient l’horrible moment. Il mit ainsi une heure et quart pour faire à pied un trajet qu’on parcourt en moins de dix minutes !…

C’est alors que nous avons senti tout ce que la religion peut offrir de puissance et de consolation. Ce misérable, si faible et si abattu par la frayeur, qu’il pouvait se traîner à peine, serait mort, sans doute, dans les horribles angoisses qui ont précédé son supplice, s’il n’avait trouvé, dans les vœux qu’il adressait au ciel, d’invisibles consolations et des forces surnaturelles. Ajoutons que, dans la foule immense qui se pressait sur ses pas, nous n’avons pas remarqué un sourire d’incrédulité ou de dérision. Loin de là, à chaque station, on voyait des femmes, des enfans, des hommes même, se [8.1]mettre à genoux et joindre leurs prières à celles du malheureux et de son confesseur.

Favard parvint enfin au pied de l’échafaud. Là encore il eut le courage ou plutôt la déplorable faiblesse de s’arrêter. Il s’agenouilla et pria pendant tout un quart-d’heure. Mais ses forces étaient évidemment épuisées comme celles de tous ceux qui assistaient depuis le commencement à ce long drame de terreur et d’angoisses. On parvint enfin à le faire lever. Il recommanda sa femme et ses enfans à M. l’abbé Audierne qui le bénit une dernière fois. « Hélas ! dit-il, je n’ai plus qu’un pas à faire, mais c’est le plus pénible ! Ah ! faut-il mourir pour les misérables qui m’ont perdu !… » Enfin il gravit les degrés, et quelques minutes après, le fatal couteau tombait avec une effrayante rapidité. Tout était fini.

Nous ne reviendrons pas ici sur le dévoûment dont M. l’abbé Audierne a donné tant de preuves en cette occasion ; dévoûment qui était alors entièrement anéanti, car on a pu voir M. l’abbé Audierne se traînant péniblement jusque chez lui, et cherchant à cacher les larmes involontaires qui tombaient de ses yeux ; nous ne parlerons pas non plus de la satisfaction avec laquelle nous avions d’abord remarqué que la foule était moins nombreuse cette fois que le jour où fut exécuté Froidefond. Ce sentiment, si nous l’avons éprouvé, a bientôt été empoisonné par la vue des excès auxquels se sont livrés quelques hommes. Ils n’ont point eu la patience d’attendre que les deux exécuteurs eussent abandonné l’échafaud, ils ont franchi les marches, et là, ils examinaient tout avec une avidité sauvage, ils épiaient les dernières palpitations du cadavre, ils respiraient, pour ainsi dire, les émanations brûlantes de ce sang qui bouillonnait sur leurs pas. L’un d’eux a même osé prendre la tête du malheureux Favard, et la soulevant par les cheveux, il suivait avec une horrible curiosité le travail de la douleur grimaçant sur des traits défigurés. Le peuple, le vrai peuple, n’a pu supporter la vue d’une si atroce inhumanité, et bientôt une grêle de pierres a mis ces hommes en fuite ; un soldat cependant a eu le temps de saisir l’un d’entr’eux, et avec une énergique colère, qui partout a été applaudie, il lui a lancé de toute sa force son poing au milieu de la figure.

Cet effrayant amour du sang, cet empressement barbare pour les spectacles de souffrances et de tortures, ne parlent-ils pas assez haut ? Ne révèlent-ils pas au législateur tout ce que la peine de mort a d’immoral et d’abrutissant ? Nous savons que cette haute question partage aujourd’hui encore les esprits les plus profonds ; mais est-ce donc une raison pour la laisser si long-temps indécise ? Pendant que l’on discute à froid, le sang coule, et le peuple, et le peuple s’habitue à ces meurtres commis le livre de la loi à la main. Parmi ces hommes qui courent à ces tragédies terribles, n’en est-il pas qui font là un horrible apprentissage, qui s’endurcissent à la vue du sang, et qui, peut-être, comme ils l’ont vu répandre, le verseront un jour sans pitié, sans remords ?

 

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