L'Echo de la Fabrique : 24 novembre 1833 - Numéro 47

21, 22, 23 Novembre 1831 !

[1.1]lyonnais ! revêtez vos habits de deuil et donnez quelques larmes aux trois journées de novembre 1831, car voici leur triste anniversaire?

Vous souvient-il de cette guerre dans laquelle citoyens et soldats, l?un contre l?autre armés, recevaient et donnaient partout la mort ! et partout reculaient épouvantés devant le hideux spectacle de poitrines françaises déchirées par le fer de la guerre civile ?

Etait-ce le peuple qui l?avait demandée, cette guerre, lui qui, dévoré par la faim, poussé par le désespoir, écrivait sur sa noire bannière : VIVRE EN TRAVAILLANT OU MOURIR EN COMBATTANT ?

Ou bien étaient-ce ces quelques hommes au c?ur de pierre, qui, retranchés derrière les bataillons de l?ordre public, l?avaient défié en lui jetant à la face les débris de sa CHARTE déchirée, et forcé, par l?interprétation étrange et révoltante d?une autre Charte, de descendre l?arme au bras sur la place publique pour y revendiquer son droit d?homme et de citoyen ?

Vous souvient-il que ce cri d?une affreuse détresse : DU PAIN PAR LE TRAVAIL ! fut accueilli par d?insolentes menaces, et le peuple qui le faisait entendre, harangué par le CANON ?

Vous souvient-il qu?au milieu de cette crise épouvantable, vies, fortunes, propriétés, tout par lui fut respecté, défendu, protégé ?

Vous souvient-il que ce peuple, lâchement calomnié, indignement repoussé, resta seul alors, debout sur la place publique, faisant face au désordre, le poursuivant partout, et partout lui faisant bonne et prompte justice ?

Oh ! oui sans doute, il vous en souvient, car cette plaie si profonde n?est pas cicatrisée. ? Autour de nous tous sont des femmes, des fils et des pères qui nous demandent encore pères, époux et enfans !? Et nous n?avons, pour apaiser leur douleur, que des larmes [1.2]à confondre avec leurs larmes ! ? que de modestes offrandes pour réparer d?immenses pertes !

Loin de nous toute pensée de haine, tout esprit de vengeance ! ? Loin de nous l?intention de déchirer cette plaie toute brûlante encore? Mais pourquoi de la boue sur les cadavres de nos malheureux frères, quand nous voyons des poitrines fratricides décorées de l?étoile des braves, et quand c?est le deuil que nous devrions tous porter ?

Oh ! ce n?est pas le peuple qui glorifie ainsi de si tristes faits, qui élève tous ces honteux trophées ! ? Il crie ANATHÈME ! anathème et malheur aux artisans de guerres civiles ! Honte éternelle à tous ceux qui en portent le déplorable souvenir?

dormez en paix, ô malheureuses victimes de novembre ! dormez, malheureux frères ! ? Depuis que des flots de votre sang ont payé l?injurieux oubli de nos législateurs, deux ans se sont écoulés et déjà la haine et la morgue insultante des heureux de ce monde reculent devant vos tombeaux?

dormez en paix, malheureuses victimes de novembre !

Mais à côté de ce souvenir douloureux vient s?asseoir une pensée moins sombre : ? c?est le peuple grandi qui se lève de toutes parts. ? C?est lui qui, dédaignant aujourd?hui l?emploi de la force et de la violence, lutte de toute la force de son intelligence contre l?insultant privilége que s?est arrogé une nouvelle noblesse, la noblesse de l?or. ? C?est le travail disputant au capital la part que le capital lui arrache ; ? enfin c?est lui, le peuple, qui veut sa part des productions dont ses innombrables bras enrichissent la terre.

Puis il veut ce que l?humanité commande : que l?exploitation de l?homme par l?homme cesse ; et des garanties pour tous des droits de tous ! ? Alors, avec ces garanties, liberté, union, ordre public seront une vérité ; sans elles, cette formule n?est plus qu?un vain assemblage de mots, qui ne sauraient empêcher ni révolutions, ni guerres civiles. ? Que les hommes qui nous gouvernent veuillent donc y réfléchir.

 

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