L'Echo de la Fabrique : 15 décembre 1833 - Numéro 50

 LE TABAC.

son influence sur la santé.

Aucune substance n’est d’un usage plus général que le tabac. L’Arabe le cultive dans ses déserts ; il est employé dans l’Inde, la Chine et le Japon. Les habitans des tropiques et ceux des pôles, le Nègre, le Lapon, le sauvage et l’homme civilisé, tous en font leurs délices. Ils le prisent, le fument ou le mâchent. Il devient d’une nécessité si indispensable, lorsqu’on en a contracté l’habitude, que le misérable supporte plutôt la privation du pain que celle de cette substance. La cessation subite de son emploi peut occasionner une foule de maladies. Un élève interne de première classe à la Salpétrière, jeune homme fort instruit et de beaucoup d’espérance, sentant combien son usage entraîne de désagrémens, tenta de s’en défaire. Les premiers jours, gaîté singulière, inspirations poétiques, contraires à son état ordinaire ; puis morosité, taciturnité, colère même, quoique d’ailleurs il fût d’un caractère fort doux, ou pour mieux dire qu’il eût sur lui beaucoup d’empire ; espèce de délire pendant la nuit ; idées bizarres et incohérentes ; cet état persiste plusieurs jours. Lorsqu’on veut perdre l’habitude de prendre du tabac, il faut y procéder avec beaucoup de gradation : ce n’est que lentement qu’on peut y parvenir.

Lorsqu’on introduit le tabac en poudre dans les narines encore inaccoutumées à son action, il fait éternuer, occasionne des vertiges, et peut produire l’apoplexie. Il émousse à la longue la sensibilité de l’odorat, et ne fait plus éternuer. Il peut établir une révulsion salutaire dans quelques affections chroniques. Les aliénés aiment le tabac avec fureur. Lorry1 attribuait à l’usage fréquent du tabac le grand nombre des affections nerveuses qui régnaient de son temps. L’irritation habituelle que cette substance détermine sur la membrane muqueuse du nez, et l’avantage qu’elle a de diminuer l’impression des mauvaises odeurs, sont les seules propriétés qu’on lui connaisse. Fumé, le tabac produit d’autres résultats. Dans les commencemens, il détermine des vertiges, des céphalalgies, des anxiétés, des défaillances, une chaleur brûlante, des tremblemens, des sueurs froides, des vomissemens, de l’ivresse, de la somnolence. Il augmente l’action de la membrane muqueuse de la bouche et des glandes salivaires, ce qui occasionne de grandes pertes de salive, et rend la digestion plus pénible et moins parfaite. Cette habitude est donc pernicieuse. Dans quelques cas, fort rares, le tabac pourrait être de quelque utilité ; les habitans des pays froids et humides, d’une constitution lâche et molle, peu irritables, peuvent en user sans danger. [6.2]Il sera nuisible aux personnes placées dans les circonstances contraires. L’excès de tabac fumé a causé l’idiotisme et la perte de presque tous les sens. Deux frères furent frappés d’apoplexie pour avoir fumé, l’un 17, l’autre 18 cigarres. Tissot2 assure que cette habitude abrège la vie. L’haleine des fumeurs est fétide, leurs dents noires et cariées.

L’usage de mâcher le tabac est moins ancien que les deux manières de le prendre dont nous venons de parler. Les marins, les soldats, les gens du peuple, mâchent le tabac ; il produit les mêmes effets, mais avec plus d’intensité que la méthode précédente.

Dans le commencement de la découverte de cette substance, on ne manqua pas de la prôner comme une panacée, on la recommanda dans toutes les maladies ; mais l’expérience ne tarda pas à faire voir toute la vanité d’un pareil espoir. Aujourd’hui, son usage en médecine est singulièrement restreint ; on pourrait même dire qu’il est tombé en désuétude. On le recommande encore, mais non sans contestation, comme préservatif de la peste, et comme neutralisant les principes contagieux.

(J. du Commerce.)

Notes de base de page numériques:

1. Anne-Charles Lorry, célèbre médecin du XVIIIe siècle (1726-1783).
2. Samuel-Auguste Tissot, autre célèbre médecin du XVIIIe siècle (1728-1797).

 

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