L'Echo de la Fabrique : 22 décembre 1833 - Numéro 51

Au Gérant de l’echo de la fabrique.

Lyon, 24 décembre 1833.

Monsieur,

Veuillez agréer l’expression de nos remercîmens sur [7.2]l’insertion dans votre journal d’un article signé X., relatif à notre Société commerciale d’Echanges.

Le prétendu critique convient que le système d’échanges, tel que nous l’annonçons, est séduisant : c’est un grand point, et cela est vrai, car il a séduit près de 20 mille chefs de famille. Il convient de sa nécessité ; c’est encore un autre grand élément de réussite. Il le trouve difficile dans sa parfaite exécution ; c’est encore un des grands caractères constitutifs des grandes entreprises. Il finit par conclure à l’impossibilité de le conduire à sa perfection ; et en cela il peut avoir raison, car, jusqu’à ce moment, il n’a rien paru de parfait dans ce monde, ce qui n’en a pas moins été pour ce monde, une raison d’accueillir ce qui présente quelque chose de mauvais, en faveur du bien qu’on y trouve en abondance.

Par exemple, M. X. trouve mauvais qu’il y ait trop de médecins à l’échange, et nous, au contraire, d’accord avec les cordonniers auxquels nos médecins ont donné leurs soins, nous avons trouvé très bon que les bottes faites par nos cordonniers aient chaussé les menuisiers qui ont fait des meubles pour nos cordonniers, lesquels ont refait des bottes en échange, qui ont chaussé des épiciers, lesquels ont encore fait des bottes et auraient ainsi continué in secula seculorum, si le cuir ne leur eût manqué, ou que le corroyeur ne fut pas sujet à être malade, et alors le même mouvement et une multitude d’autres mouvemens du même genre ont eu lieu, et n’ont laissé, tant à ceux qui ont trouvé leur compte, qu’à ceux qui attendaient avec impatience, d’autres regrets que ceux dont M. X. nous présente le tableau… Ah ! M. X., qui cherchez des poux à la tête des enfans en bas âge, pour dégoûter leurs parens d’en mettre d’autres au monde, nous craignons bien que vous n’y perdiez et votre logique et votre latin ! ! !… N’importe, nous mettrons à profit les avis d’améliorations que nous donne M. X. pour le perfectionnement du système d’échanges, en le priant instamment d’en faire une étude plus approfondie, afin de s’éviter la peine de reconnaître à chaque pas une perfection là où il aura cru voir un défaut ; car mieux vaudrait pour lui s’endormir sous l’arbre de l’échange comme le paysan de La Fontaine sous un chêne, et trouver à son réveil, dans sa barbe, le gland qui lui eût écrasé la tête si le Créateur, d’après ses conseils, eût placé les citrouilles là où il convenait de placer les glands !1

Nous disons, nous, que le système d’échanges a effectué un grand nombre d’échanges, qu’il a dans ses souscriptions de quoi en effectuer des milliers d’autres, et contenter le 5/6e des mécontens, si chacun y remplit les engagemens qu’il a pris, et que la moitié de la justice de Lyon cesse d’être favorable, par ses lenteurs, à ceux qui refusent l’exécution de leurs engagemens d’échanges, tandis que celle de Paris les condamne ; et le peuple, apprenant ainsi qu’il y a deux justices, une qui dit blanc, l’autre qui dit noir sur l’échange, laissera enfin la justice et fera l’échange sans elle ; ou bien il instituera la justice de l’échange qui est de celle des évaluations dont la difficulté effraie M. X. Mais que M. X. se rassure, la justice d’échange, placée devant des bottes, des habits et des chapeaux, pour trouver leur valeur relative, sera peut-être moins embarrassée que la justice de l’argent, appelée à trouver la valeur fixe du salaire et la forme qu’il faut donner aux coalitions des ouvriers.

L’objection prise de ce que l’administration de l’échange aurait besoin de quatre pour cent en numéraire [8.1]sur la valeur des échanges qu’elle procure, prouve, au contraire, qu’elle a résolu les 96/100e des conditions du problème, et le numéraire n’étant exigé que pour les frais de justice, patente et poste aux lettres, il s’en suit que le consentement du gouvernement et de la justice suffit seul à la résolution intégrale du problème de l’échange.

Nous attendons de votre impartialité l’insertion de la présente lettre, que nous aurions faite bien plus longue sans la crainte de prendre une trop longue place dans votre journal.

Nous ne la finirons pas, néanmoins, sans prier M. X. de se nommer comme nous le faisons, pour prouver au public la réalité d’une controverse qui ne peut manquer de devenir très sérieuse, si les conseils donnés par le Précurseur à tous les partis politiques, de mettre leurs utopies à exécution, les conduit, tous indistinctement, sur le terrain de l’échange. Dans cette attente, nous avons l’honneur de vous saluer avec une parfaite considération.

Le gérant de l’Association commerciale d’Echanges, établie à Lyon, rue de la Préfecture,  5, et dans un grand nombre de villes de France et quelques-unes de l’étranger,

B. mazel jeune.

Note du Rédacteur. – Jusqu’à présent nous avions négligé de dire ce qu’est la société commerciale d’échanges, dirigée par M. Mazel jeune, et, nous l’avouons franchement, c’est de notre part un grand tort envers tous ceux qui se sont laissé abuser par la marque philantropique dont il s’est affublé. – M. Mazel est bien convaincu que nous avons su apprécier ce qu’il appelle assez hardiment, un système nouveau ; et pourtant, après nous être refusés à l’insertion de plusieurs de ses lettres, nous avons encore reçu celle assez niaise et assez triviale, que nous livrons aujourd’hui à l’appréciation de nos lecteurs.

On sent que nous lui devons un commentaire précis ; nous le donnerons dans notre prochain numéro, tel que M. Mazel en tirera mince profit, et nous prévenons ce Monsieur, que regardant comme un devoir impérieux d’éclairer notre public d’une manière tout-à-fait complète (et pour des raisons à nous particulières), nous garderons le silence le plus absolu sur toute espèce de réplique qu’il lui conviendrait de publier ailleurs que dans notre journal. C’est, par conséquent, lui faire offre de nos colonnes, que jusqu’à présent nous lui avions refusées, et nous comptons qu’il voudra bien l’accepter.

Notes de base de page numériques:

1. Référence à la fable de Jean de La Fontaine, « Le gland et la citrouille ».

 

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