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5 janvier 1834 - Numéro 53
 
 

 



 
 
    
 

Des Boulangers et des Fariniers.

Dans deux numéros précédens nous nous avons démontré : 1° que la corporation des boulangers existait en violation de nos lois ; 2° qu’elle était lésive des intérêts de notre population laborieuse. Il était donc urgent de combattre cette corporation, de la faire rentrer dans le droit commun et de lui susciter une concurrence qui pût notablement améliorer la position des consommateurs. Aussi s’est-on adressé aux chambres, au ministre du commerce, et surtout à la publicité ; et l’on a enfin obtenu un commencement de justice, quelques concessions à un droit cependant incontestable. Les boulangers tenaient du décret du 6 novembre 1813 la faculté de n’admettre dans leur corporation que ceux qui justifiaient connaître les bons procédés de l’art, et cette justification se faisait par un chef-d’œuvre. Ce décret de 1813 ouvrait une large voie à l’arbitraire ; les boulangers s’y jetèrent avec d’autant plus d’empressement que leurs intérêts leur en faisaient une loi. Ainsi ils limitèrent leur nombre pour notre cité. Si un jeune homme sans fortune, cependant désireux de marcher seul et d’arriver à l’aisance par un travail assidu et de sages économies, voulait créer et non acheter un fonds, les boulangers [2.2], qui craignaient de voir leur nombre s’accroître, pouvaient l’arrêter en déclarant tout simplement qu’il ne connaissait pas les bons procédés de l’art. Un pareil système ne pouvait durer. Notre révolution de 1830, qui eût fait tant de bien si de coupables mains n’eussent embourbé son char, amena cependant la fin de cet arbitraire. Les fariniers détaillans vendirent du pain de ménage et pensèrent ne pas empiéter sur le monopole des boulangers, puisque ces derniers vendaient seulement le pain blanc, le pain ferain et le pain bis. Mais les boulangers comprirent bien que le pain de ménage des fariniers, supérieur à celui qu’ils pouvaient faire, obtiendraient la préférence des consommateurs ; aussi ils attaquèrent rudement les fariniers détaillans. Ils avaient le décret de 1813, l’appui de la mairie et l’assistance toujours officieuse et empressée des commissaires de police ; les fariniers n’avaient que le droit, la liberté de l’industrie proclamée dans la loi de 1791, et leur énergique résolution de résister par tous les moyens que leur offraient les lois. Grâce à cette lutte, le droit a eu un commencement de triomphe ; M. le ministre du commerce a prononcé l’abrogation partielle du décret de 1813 ; il a décidé que tout citoyen pouvait se faire boulanger en faisant le dépôt de farines exigé par le décret de 1813, et en payant la patente de boulanger. Déjà plusieurs fariniers se sont mis en mesure ; ils vendent, librement et sans crainte des commissaires, du pain de ménage à meilleur marché et bien supérieur au pain bis ; car le pain de ménage est fait d’une farine qui n’a souffert que le prélèvement du gros son, tandis que la farine consacrée au pain bis n’est que le résidu d’une mouture qui a subi deux prélèvemens : la fleur proprement dite, destinée au pain du riche, et la seconde qualité consacrée au pain ferain. La farine du pain bis est donc dégagée de toutes les parties nutritives, elle n’est que du son soumis à une plus longue mouture. Honneur aux fariniers détaillans ! leur persistance adoucira le sort de nos concitoyens ouvriers ; ils auront à bon marché un pain plus sain et surtout bien plus nutritif que le pain bis. Consacré à la défense des besoins populaires, notre journal devait s’empresser de publier cette nouvelle importante. Espérons que nous pourrons annoncer bientôt l’entière émancipation de la boulangerie ; car alors seulement le peuple travailleur mangera du meilleur pain et à meilleur marché.

 

 

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