L'Echo de la Fabrique : 5 janvier 1834 - Numéro 53

 DU CONSEILLER DES FEMMES.

Le Conseiller des Femmes, cette intéressante publication, fondée et dirigée par Mme niboyet, poursuit courageusement la tâche qu’il a entreprise, et d’honorables succès sont déjà le fruit de nobles efforts. – Entourée de collaboratrices de mérite et de cœur, parmi lesquelles nous avons surtout remarqué Mmes Louise Maignaud, Sophie Hulliac, Dudrezène, Louise Amon et Aimée Harelle, Mme Niboyet triomphera certainement des écueils qu’elle pourra rencontrer dans une route toute nouvelle, et qu’il lui faut se frayer en marchant.

Assurément il faut du courage pour remplir une mission aussi difficile, surtout à une époque où les femmes ne sont encore regardées que comme un meuble de salon ou de ménage, et réduites à la nullité la plus complète par l’éducation fausse et les préjugés ridicules sous le poids desquels nous nous plaisons encore, nous autres hommes, à les retenir opprimées.

Pour nous, travailleurs, qui jugeons l’ouvrier à son œuvre, et qui avons suivi Mme Niboyet dès son début, nous sommes heureux de lui trouver tout le courage qu’exige sa position, et de lui connaître une somme de dévoûment bien capable d’agiter au cœur de nos dames lyonnaises les nobles et généreux sentimens dont la nature a si richement paré leur sexe, et dont naguère encore elles ont noblement fait preuve en volant au secours des héroïques débris de la Pologne !

Aujourd’hui, c’est à doter notre ville de quelques écoles gratuites, fondées sur de sages et utiles bases, que Mme Niboyet les invite. – Ecoutez, femmes lyonnaises, écoutez le projet qu’elle vous appelle à réaliser :

« Lyon est une ville immense, elle compte dans son sein plus de 170,000 habitans ; il lui est donné de faire de grandes choses, et elle le pourra quand elle le voudra. [4.1]Supposons que sur 170,000 habitans, 100,000 seulement souscrivent la somme de quatre sous pour la fondation d’écoles gratuites, n’est-il pas vrai qu’on n’aura de suite un capital de 10,000 fr. ? N’est-il pas vrai que si la ville ou les hospices veulent prêter quelques-unes des salles qu’ils ont de libres au centre de notre cité, il n’y aura plus à s’occuper des frais de loyer ? Cette somme de 10,000 francs, dès-lors répartie entre quatre écoles (deux pour les garçons, deux pour les filles), laissera à chacune d’elles 2,500 fr. ? N’est-il pas vrai encore que les enfans envoyés dans ces écoles pourront être employés à de petits travaux dont on fera tourner le produit à leur profit, afin de les encourager et de leur rendre leur tâche plus douce ? Par ce moyen aucun temps ne sera perdu, les travaux seront variés et l’éducation générale deviendra, par le fait, le premier degré de l’éducation professionnelle.

Les jeunes filles, attachées par leur travail, seront bientôt propres à tous les ouvrages de couture. On ne leur imposera pas une tâche, on la leur fera demander.

Chaque enfant, admissible à sept ans, pourra continuer ses études jusqu’à douze. Il y a donc lieu d’espérer que ce terme venu, les enfans seront bien préparés à commencer une nouvelle vie.

Les objets faits à façon ou fabriqués et vendus dans les salles, donneront à chacun sa juste rétribution, et il n’y aura pas lieu de redouter la vue des haillons, quand chaque enfant pourra gagner de quoi se vêtir. Maintenant, nous le demandons, quelle est la mère qui ne donnera pas quatre sous par an pour voir élever son enfant ? »

Emettre ici l’opinion que vous serez sourdes à la voix de Mme Niboyet, serait vous faire une injure que l’histoire est là qui nous dit que votre sexe n’a jamais méritée, et c’est lui rendre justice que de compter, au contraire, que déjà vous êtes prêtes à seconder ses courageux efforts !

Nous applaudissons encore à cet autre projet que vous présente aussi la directrice du Conseiller des Femmes ; écoutez :

« Parmi les femmes, les petites filles ne sont pas seules à élever, et beaucoup d’entre nous ont encore à apprendre.

Après avoir recueilli les voix des femmes les plus avancées, nous avons conçu le projet de fonder à Lyon, à dater des premiers jours de janvier, un Athénée spécial aux femmes et consacré à leur développement. Toutes ne seront pas appelées à être membres titulaires de ce corps, mais toutes pourront assister aux cours qui y seront professés. Ce sera une tribune morale et intellectuelle ouverte à toutes les femmes, et, nous ne doutons pas que les plus avancées, les plus considérées, celles enfin dont Lyon s’honore, ne s’empressent de répondre à notre appel. Il sera fait, à l’athénée, des cours de morale à la portée des femmes auxquelles la nature et le sort ont fait petite part. Il y aura aussi de hauts enseignemens où toutes celles qui se sentent force et puissance sont appelées.

[…]

Encore une fois, nous demanderons aux journaux leur appui, non pour une opinion, mais pour un but !!! Nous demanderons aux autorités administratives une salle, aux femmes leur sympathie, au monde son approbation, et, après avoir tant demandé pour notre sexe, nous lui dirons, à lui qui ne nous connaît pas encore : [4.2]Nous voici, nous venons vous aider à faire le bien, vous en donner les moyens ; si quelqu’une suspecte notre bonne foi, qu’elle juge nos œuvres et qu’elle blâme après, si encore elle peut le vouloir !… »

Certes, voila pour les dames lyonnaises une belle occasion et de donner carrière à de grands et généreux sentimens, et de sortir de la prison étroite et mesquine dans laquelle ont tenu leur sexe enfermé des hommes qui nous ont décrété des codes de sociabilité dont, fort heureusement, il ne nous reste plus que quelques vieux lambeaux. – Comprendront-elles l’appel que leur fait Mme Niboyet, et enfin auront-elles le courage d’y répondre ? Nous l’espérons, et nous le désirons fortement, nous qui ne sommes pas législateur, et qui comprenons combien elles peuvent hâter cette réforme sociale devenue si urgente aujourd’hui.

 

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