L'Echo de la Fabrique : 26 janvier 1834 - Numéro 56

 

DE L’ASSOCIATION INDUSTRIELLE.

On discute beaucoup sur la question de savoir si l’association industrielle parmi les travailleurs, parmi ceux qui sont le levier productif des richesses et le vrai fonds que les possesseurs de capitaux épuisent impitoyablement ; si, disons-nous, l’association entre ouvriers est un droit ou une violation de la loi. Eh ! bon Dieu ! c’est mettre en question si des lois de captation, de dol et de violence doivent à jamais étouffer le droit que l’homme tient de la nature !… Ces lois, faites par des tyrans, imposées à un peuple vaincu, trahi ou dupé, n’auront de puissance qu’autant que les causes qui les ont fait prévaloir auront assez de force pour les maintenir. – Mais que cette force passe au peuple, c’est-à-dire que le peuple soit réuni sous une même opinion d’unité politique, mu par le seul sentiment de sa dignité, toutes ces lois de déception feront place à de nouvelles lois de raison et de justice, comme le jour succède à la nuit. – Ceci n’est plus une question de principe, mais bien une question de temps…

On estime, avec raison, qu’un peuple pauvre est facile à gouverner, c’est-à-dire à asservir. Aussi la politique des gouvernans est-elle de lui faire produire des richesses qui ne sont jamais à lui, qui ont pour possesseurs exclusifs, constans et successifs, les privilégiés dont se compose la vaste corporation gouvernementale. C’est cette rotation d’activité et de travaux d’un peuple industriel et laborieux, créant toutes les richesses sans en posséder aucune, qui produit ce phénomène de pauvreté, de misère, de fatigue immodérées ; de longues souffrances, d’incessantes privations et d’humiliations pour le grand nombre ! Richesses et abus de toutes les jouissances, orgueil, immoralité et insolence pour le petit nombre, quand la nature avait tout prévu, tout organisé pour une juste participation aux biens qu’elle répand sur la terre qu’elle nous a appelés à peupler et à régir… Et c’est sur cette terre où chacun de nous a le droit de revendiquer une place, que nous voyons les dispensateurs de la richesse échanger un peu de pain contre un travail de tous les jours, de toute la vie enfin, ainsi qu’on jette au cheval une botte de foin pour sa vie d’un jour.

L’association industrielle est donc non-seulement un [2.2]droit, mais une obligation, puisque c’est le plus grand, le plus sûr moyen d’affranchissement et de conservation que le peuple possède, puis la conséquence de son état d’agglomération, auquel une industrie quelconque le force de prendre part pour sa vie entière ; obligation née de notre organisation qui prescrit, sous peine de tomber en plus dure servitude, de veiller au salut de tous pour assurer le sien. Il est un sentiment noble et beau qui plaît aux grandes âmes et pousse l’homme à agir ; c’est pour les autres et pour soi, avec l’assentiment de la justice et de la raison humaine, contre l’injustice et la déraison de vieilles lois, nées à une époque où l’humanité, torturée, avilie, demeurait écrasée sous le sceptre des tyrans. Or, cette pensée, qui trace le chemin à suivre et dont la presse libre est l’organe, cette pensée enfin, qui vient s’interposer entre le peuple et les grands qui l’oppriment et l’abaissent, pour se hausser encore, veut que la société se reconstitue sur des bases plus aptes à distribuer équitablement les droits et les jouissances dont se compose le bonheur de la vie humaine, comme aussi les charges qui en sont la conséquence naturelle. C’est cette voix fraternelle qui nous crie de toute son énergie, de toute sa force : « L’association industrielle entre les travailleurs est l’unique garantie d’un état futur, meilleur que tous ceux des siècles passés ; chacun y gagnera ; les produits seront plus en rapport avec les besoins et le travail, première mise de fonds, et chacun pourra, marchant dans l’avenir, voir sans frémir ses vieux ans arriver. Alors le peuple verra déserter de son modeste asile cette mort si triste, à la fois si lente et si prématurée ; – son intelligence acquerrera un grand développement, ses mœurs s’adouciront encore, et puis sa morale, devenue vierge de superstition, l’élèvera, le perfectionnera, et accomplira ainsi le grand œuvre de sa régénération. »

A. G. B.....

 

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