L'Echo de la Fabrique : 2 février 1834 - Numéro 57

Au Rédacteur.

Monsieur,

Veuillez, je vous prie, insérer dans votre journal ma dernière réponse à l?insolente épître du sieur Dazon, épître à laquelle je n?aurais dû répondre que par un méprisant silence : mais un soupçon de calomnie plane sur ma tête, et je dois l?en écarter. M. Dazon m?appelle ouvrier misérable, il a raison : je suis malheureux, mais ma misère est celle qui s?attache à tous les ouvriers qui, comme moi, vivent du fruit de leur labeur, et cette misère-là vaut mieux que les richesses de mon détracteur ; mais il ajoute : misérable par sa faute. Non ; par la faute des gens de son espèce : ou faute de savoir travailler, dit-il. Je ne chercherai pas à me défendre sur ce point ; car depuis dix ans je n?ai point essuyé de reproches sur ma fabrication. Comment M. Dazon ose-t-il dire à un ouvrier qu?il ne sait pas travailler, lui, mécanicien postiche, qui ne peut pas même visiter les mécaniques qui sortent de son, atelier, et qui est obligé de s?en rapporter, sur cet article, à ses ouvriers. C?est lui, alors, qui ne sait pas travailler. M. Dazon a joint à sa lettre dix signatures pour attester la bonne fabrication de ses ouvrages ; mais dans cette quête de suffrages je ne vois encore que du charlatanisme ; car je n?ai jamais dit qu?il ne fabriquait pas de bonnes mécaniques ; mais je compare son atelier à une loterie : sur 90 numéros, cinq seulement doivent sortir ; tant mieux pour ceux qui ont tiré les bons.

[4.1]Mais il n?a pas parlé des mécaniques qui lui ont été renvoyées de St-Etienne et des courses nombreuses qu?il a faites, soit à St-Etienne, soit ailleurs. Eh ! que m?importe d?ailleurs qu?il ait livré vingt, trente, et même cent mécaniques dont on ne s?est pas plaint, si les miennes ne valent rien. Je lis encore que je dois connaître la bonté de ses mécaniques. C?est un peu fort. Que M. Dazon ait dit que je suis un ouvrier misérable, que j?ai besoin d?aumône : tous les propos haineux sortis de la tête à l?Esope (pour la forme seulement) font sur moi peu d?effet ; mais oser dire que je connais la bonté de son ouvrage, ah ! M. Dazon, vous êtes un vrai farceur, et je ne m?attendais pas à cette pasquinade. Cependant, afin de terminer tous débats, je propose à M. Dazon de choisir deux experts ; moi, de mon côté, je prierai deux mécaniciens de m?assister, qui tous ensemble feront un rapport de la mécanique que j?ai à la maison ; le rapport sera livré à l?opinion publique, et s?il dépose en faveur de M. Dazon, alors je consens à être calomniateur, ouvrier misérable, et tout ce qu?il plaira à mon adversaire. Mais s?il en est autrement, ou si M. Dazon se refuse à subir cette épreuve, alors je laisserai au public le soin de juger qui de nous deux est imposteur. J?attendrai, pour cette affaire, jusqu?au 8 février, et j?en ferai connaître l?issue. Mais, jusqu?à cette époque, je regarderai comme calomnieuses toutes lettres écrites par le sieur Dazon, tendant à ternir ma réputation ou blesser mon amour-propre. Je termine en engageant mon antagoniste, ou plutôt son rédacteur, à être plus d?accord avec lui-même ; car je suis calomniateur parce que j?ai dit qu?une mécanique mal fabriquée m?avait été livrée, et cependant il est reconnu qu?elle a été changée et remplacée par une autre. Alors elle était donc irréparable, alors je ne suis pas calomniateur.

Agréez, etc.

A. noyer.

P. S. J?engage MM. les chefs d?atelier, mécaniciens ou autres qui auraient conservé contre moi d?odieux soupçons qu?aurait fait naître la lettre du sieur Dazon, de vouloir bien venir eux-mêmes visiter la mécanique, faubourg de Bresse, maison Duhamel, au 2e étage.

Note du rédacteur. ? M. Noyer a certainement raison de se plaindre des choses insolentes dirigées contre lui, dans la lettre de M. Dazon. ? Nous avions trouvé certaines expressions de cette lettre très inconvenantes, et nos lecteurs auront sans doute pensé comme nous : aussi nous saisissons cette occasion pour rappeler aux personnes qui désormais auraient des griefs à nous faire publier de vouloir bien ne pas sortir des convenances, que nous devons tous garder quelle que soit notre position, quelques soient les motifs qui pourraient nous les faire oublier ; les insultes ne servent pas mieux une bonne cause qu?elles ne sauraient la gagner mauvaise.

En conséquence, nous prions qu?à l?avenir les personnes qui auraient des lettres à nous envoyer, de vouloir bien nous laisser l?adresse de leur domicile, afin que nous puissions leur faire entendre nos observations, le cas échéant.

 

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