L'Echo de la Fabrique : 2 février 1834 - Numéro 57

Des Publications Républicaines.

[4.2]MM. les gens du roi nous permettront quelques observations sur les événemens dont notre cité a été le théâtre pendant ces quinze derniers jours, nous leur promettons de ne pas parler politique : nous obéirons à cette loi si morale qui proclame la liberté de la presse et cependant nous frappe d?amende et de prison si nous abordons les matières politiques ; nous craignons la justice, nous pèserons nos paroles.

Les publications républicaines sont utiles, et nos gouvernans, que chacun sait animés d?un si vif amour du pays, devraient demander à nos improstitués une allocation de fonds pour les offrir aux crieurs à titre de prime et d?encouragement ; car tous nos gouvernans pensent sans doute, comme le doctrinaire Guizot, qu?il faut répandre l?instruction : dès-lors tous doivent y concourir, ou, ce qui est plus facile pour eux, y faire contribuer les caisses de l?état. Si ces caisses sont vides, si elles ont peine à suffire aux douze millions qui, joints eux-mêmes aux revenus des fermes, forêts et autres domaines de l?état, ne peuvent satisfaire le gros appétit de l?ordre de choses, faites-leur au moins voter des remercîmens, des éloges, voire même des poignées de mains ; venez enfin au secours des crieurs républicains ; ils répandent une sage et surtout peu coûteuse instruction. Le peuple l?a bien compris ; avide de savoir, avec quel empressement il entourait les crieurs ; comme il était joyeux d?offrir ses cinq centimes et d?en recevoir en échange un écrit lui parlant de ses souffrances, de ses intérêts et de son bien-être à venir ! Cet écrit, il le lit, le commente, le médite en famille, assis à son modeste foyer, tandis que les heureux du jour, les hommes à coffre-fort, se prélassent devant des tables chargées de mets et de vins, et d?un ton doctoral et stupide, disent : Le peuple est une bête farouche, libre de ses chaînes, il dévore. Eh bien ! cet utile plaisir lui est défendu ; cette instruction qu?on lui promet, soit aux chambres, soit dans les universités, en phrases pompeuses et mensongères, on la lui interdit. M. Chegaray, à qui il ne manquait plus que la croix pour le rendre éminemment respectable ; M. Chegaray fait poursuivre les crieurs, saisir leurs écrits et juger correctionnellement le citoyen Reverchon qui, par dévoûment, s?est rendu l?éditeur de publications populaires ; il a voulu être utile à son pays? un mois de prison, 200 fr. d?amende !? à d?autres la croix? Ils en sont les persécuteurs? M. Barthe1, ex-fanatique républicain, aujourd?hui monarchique par excellence, a présenté aux chambres un projet de loi sur les crieurs ; il est destructif de la liberté de la presse, les chambres l?adopteront, et ce peuple qu?on veut instruire, dont on dit s?occuper avec une si touchante sollicitude, se voit fermer la seule voie d?instruction qui lui fut facile ; on brise son unique tribune. Mais, qu?on le sache bien, il ne suffit pas au peuple de savoir lire et écrire, il faut qu?il connaisse ses droits et ses devoirs comme homme, comme citoyen ; il faut qu?il sache quelles formes gouvernementales peuvent lui donner bonheur et tranquillité ; il faut que ces notions élémentaires, une fois acquises, il puisse manifester son v?u. Or, comment le pourra-t-il si on ne lui apprend rien ? Comment le consulter avec fruit dans les élections auxquelles il doit être appelé, quelles qu?elles soient, si vous interdisez les seuls moyens d?instruction que lui offrent quelques citoyens généreux ? Les journaux ordinaires lui restent, direz-vous ? Chacun sait [5.1]que les journaux, grâce aux entraves fiscales dont les a chargées un pouvoir cependant si ami de la liberté de la presse, sont à un prix trop élevé et par conséquent inaccessibles aux hommes de travail ; le peuple n?avait donc que les feuilles vendues par les crieurs : ces feuilles, composées avec discernement, offraient une lecture substantielle. Ainsi, la Déclaration des droits de l?homme et du citoyen de 93, commentée par le citoyen Rion, et vendue par les crieurs de la Société des Droits de l?Homme, a dû fournir à de longues et profitables médiations. Ainsi il y a eu service rendu au peuple. Si vous supprimez ces publications, vous le laissez abandonné à lui-même et ignorant de ce qu?il ne peut ignorer sans crime. Il aura les publications de l?autorité? publications ignobles? langage de bagnes? injures dégoûtantes à tout ce qui porte un c?ur généreux? publications dignes enfin de leur source impure, des bureaux de Gisquet et consorts. Voila l?aliment que vous offrez au peuple pour satisfaire à son vif amour de l?instruction. Que reprochez-vous aux publications républicaines répandues dans notre cité ? Parcourez tous les numéros imprimés jusqu?à ce jour, et dites-nous ce qu?ils contiennent de répréhensible ? Dans tous principes sages et fermes, sentimens élevés, amour du pays, fraternité des citoyens, fraternité des peuples, langage simple, clair, précis et digne. Voila ce qui apparaît à tous les yeux, ce qui entraîne la foule, la fait affluer aux crieurs républicains, et laisser isolés les crieurs d?une ignoble police. Et cependant ce sont ces publications que Barthe a voulu flétrir à la chambre des députés ! C?est contre elles qu?il invoque les fureurs des centres aveugles et dévoués ! La liberté de la presse n?est donc qu?un mot ? Sortie victorieuse des réquisitoires de tous les Persil de France, elle doit donc périr sous les coups insolens d?un carbonaro parjure ? La charte-vérité n?est donc qu?un mensonge, une déception, une amère dérision ?

Pauvre peuple ! contre toi seul est dirigé cet attentat ; tu pouvais à peu de frais avoir ton journal, tu pouvais t?instruire, tu pouvais apprécier tes gouvernons et les juger ; ils veulent échapper à ce contrôle, ils proscrivent les journaux. As-tu besoin de savoir quelque chose ? Travaille, paie, c?est là ta destinée? T?en contenteras-tu long-temps encore ??

Notes de base de page numériques:

1. Félix Barthe (1795-1863), député et ministre (notamment de la Justice) au début de la monarchie de Juillet. Cet ancien carbonaro va personnifier aux yeux des ouvriers le ralliement d?une fraction des libéraux de la veille à l?ordre orléaniste. C?est Barthe qui portera quelques semaines plus tard la loi sur la censure et les associations politiques.

 

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