L'Echo de la Fabrique : 2 février 1834 - Numéro 57

Mozart arriva un jour dans une ville allemande de premier ordre, et assista incognito à la représentation de son opéra, l?Enlèvement du Sérail. Tout-à-coup, au milieu de l?air de Pédrillo, l?orchestre entonna un ré dèze au lieu d?un naturel : cette substitution involontaire ne nuisait pas à la phrase musicale, mais elle lui donnait une physionomie commune et tout opposée aux intentions du compositeur. Mozart n?eut pas plutôt entendu [8.1]ce contre-sens qu?il se leva furieux au milieu du parterre, et s?écria d?une voix de tonnerre : « Voulez-vous attaquer le ré naturel, canaille ! »

On se figure aisément la rumeur que cette sortie scandaleuse causa dans la salle. La frayeur se répandit parmi les acteurs qui se trouvaient en scène ; la cantatrice qui remplissait le rôle de Constance tomba évanouie ; le public s?empara aussitôt de l?individu qui avait proféré les paroles insolentes et troublé le spectacle ; il fut forcé de se nommer.

Au nom de mozart, un murmure général d?étonnement mêlé de respect s?éleva d?un bout de la salle à l?autre. Il fallut recommencer l?opéra ; les musiciens installèrent Mozart au milieu de l?orchestre, et dirigea lui-même la partition.

Cette fois, au lieu du ré dièze, on attaqua le ré naturel, et la phrase musicale se produisit sous une forme toute différente, et qui étonna les musiciens eux-mêmes.

Après le spectacle, Mozart fut reconduit en triomphe jusqu?à son hôtel ; et pendant plusieurs jours il eut beaucoup de peine à se soustraire aux témoignages de l?enthousiasme local.

(Correspondant de Nuremberg.)

 

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