L'Echo de la Fabrique : 2 mars 1834 - Numéro 61

 

ENCORE UN MOT SUR LA CRISE PASSÉE.

Les ouvriers de la fabrique d?étoffes de soie, en suspendant généralement les travaux, ont voulu arrêter le mouvement de baisse du prix des façons qui s?opérait dans diverses maisons de fabrique, prix déjà inférieur et pouvant tout au plus suffire à toutes les exigences de la vie. Vu leur peu de ressources, les ouvriers ont pensé que, pour arriver plus promptement à leur but, il fallait une suspension générale ; qu?alors les fabricans, dont la conscience leur fait un devoir de considérer l?ouvrier comme homme, et qui doivent lui donner les moyens de vivre comme tel, interviendraient auprès des fabricans que guide seul un intérêt sordide ; que ceux-ci, entendant les conseils justes et raisonnables de leurs confrères, condescendraient aux réclamations qui leur étaient faites. L?attente des réclamans a été trompée, l?erreur dans laquelle ils étaient, et qui leur a fait prendre cette grave mesure de suspension, s?est dissipée, le masque est tombé, et maintenant chacun peut apprécier tout ce qu?il y a d?odieux et de cruel dans l?obstination [4.1]de ces fabricans, indignes du nom d?homme, qui se font un jeu de l?existence de ceux dont les sueurs les enrichissent, qui ne craignent pas de compromettre les intérêts de toute une grande cité, et de mettre en question la tranquillité de la France entière. La responsabilité de semblables désordres ne peut retomber sur les ouvriers : ce qu?ils demandent, c?est un droit, c?est une nécessité de gagner leur pain en travaillant, et ce n?en est pas une de faire fortune en cinq ou six ans.

Vous qui pensez que les ouvriers sont sous l?influence de quelques meneurs, rendez-vous dans leurs ateliers, et vous verrez que leurs meneurs ce sont les besoins. Là, vous verrez l?homme, dans la vigueur de l?âge, s?occuper sans cesse de l?organisation de ses métiers, vu le peu de temps qu?un métier marche sur la même disposition ; et cette organisation l?assujettit à des dépenses qui absorbent une grande partie de ses bénéfices. Ainsi, son temps le plus précieux s?écoule sans qu?il puisse rien réaliser pour assurer son avenir. Là, vous verrez une famille nombreuse dont le chef s?exténue pour satisfaire à ses besoins les plus pressans ; là, enfin, vous verrez de pauvres vieillards, qui, après de longues années de travail, sont dans la triste obligation d?aller demander le pain de la commisération, et qui n?ont pour espoir que d?aller mourir sur le lit de l?hôpital : alors vous comprendrez sous quelle influence se trouvent les ouvriers ; vous vous rendrez compte si une pareille perspective n?est pas de nature à suggérer aux malheureux travailleurs la ferme résolution de tenter de s?y soustraire.

Maintenant, que l?organe rauque de nos tyrans bourgeois, qui désirait que nous reçussions une vigoureuse leçon, dise tant qu?il voudra que les ouvriers sont des tracassiers, qu?il insinue perfidement que nos intentions sont de piller, de dévaster : notre calme, l?ordre que nous avons observé dans cette grave circonstance, donnent aux détracteurs du peuple un éclatant démenti, et prouve combien la civilisation a jeté chez nous de profondes racines ; que nous comprenons que le droit du plus fort est une tyrannie, que la force brutale est un mauvais argument pour montrer la justice des réclamations ; que nous sentons que, pour obtenir la jouissance de nos droits, il nous faut bien remplir nos devoirs, et ces devoirs nous les avons remplis ; car, quant à nous, l?ordre, la tranquillité ont constamment régné. L?autorité a tout fait pour exaspérer ou effrayer les esprits, et nous, nous avons tout fait pour les calmer. Les pages de l?histoire qui mentionnera ces faits ne seront pas, au grand regret de nos ennemis, rougies par du sang français versé par des mains françaises.

D... , Mutuelliste.

 

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