L'Echo de la Fabrique : 9 mars 1834 - Numéro 62

 

[8.1]Un fait d’une immense gravité, et qui pourrait bien porter d’autres fruits que ceux qu’en attendent les hommes qui ont travaillé à son accomplissement, occupe en ce moment tous les esprits, et est le sujet de bien tristes réflexions en même temps qu’il fait éclater de honteuses et infernales joies : c’est la condamnation du citoyen cabet, député, ami des dupont (de l’Eure), lafayette, garnier-pagès, etc., à 2 années d’emprisonnement, 4,000 fr. d’amende et deux ans d’interdiction de ses droits civiques et de famille, pour attaque envers les droits que S. M. Louis-Philippe tient, etc. – Voici ce que dit à ce sujet le journal le Temps, qui certes n’est pas républicain :

CONDAMNATION DE M. CABET.

M. cabet a été condamné à deux années d’emprisonnement (le minimum est de six mois et le maximum de cinq années), à 4,000 fr. d’amende (le minimum est de 500 fr. et le maximum de 10,000 fr.), et à l’interdiction des droits mentionnés en l’art. 42 du code pénal pendant deux années.

La disposition de l’art. 9 de la loi du 17 mai 1819, qui donne à la cour la faculté de l’interdiction des droits civiques, est ainsi conçue :

« Le coupable pourra en outre être interdit de tout ou partie des droits mentionnés en l’art. 42 du Code pénal, pendant un temps égal à celui de l’emprisonnement auquel il a été condamné ; ce temps courra à compter du jour où le condamné aura subi sa peine. »

Voici l’article 42 du Code pénal mentionnant les droits dont M. Cabet est interdit :

« Art 42. Les tribunaux pourront, dans certains cas, interdire en tout ou en partie l’exercice des droits civiques, civils ou de famille suivans : 1° de vote et d’élection ; 2° d’éligibilité ; 3° d’être appelé ou nommé aux fonctions de juré ou autres fonctions publiques, ou aux emplois de l’administration, ou d’exercer ces fonctions ou emplois ; 4° de port d’armes ; 5° de vote et de suffrage dans les délibérations de famille ; 6° d’être tuteur, curateur, si ce n’est de ses enfans, et sur l’avis seulement de la famille ; 7° d’être expert ou employé comme témoin dans les actes ; 8° de témoignage en justice, autrement que pour y faire de simples déclarations.

Ainsi, non-seulement la cour d’assises, par l’application de ce dernier article du code pénal, a cassé un député, mais elle a puni un délit politique par la privation des droits de famille pendant deux années. Il y a là pour tout homme qui ne s’est pas laissé aller à ce vertige de réaction et de violence, l’épidémie ministérielle du jour, un excès de châtiment qui dépasse évidemment le but. Il semble, en vérité, qu’on se soit emparé avec une joie convulsive du verdict des jurés pour en faire sortir tout ce qu’on a pu de vengeance.

Et que cette fois encore on ne se méprenne point sur nos intentions, et qu’on ne dise point que nous nous mettons contre la loi, du parti de ceux qui la violent. Nous croyons seulement qu’il appartient à la magistrature d’apporter, dans la répression juridique du désordre quel qu’il soit, cette haute modération, ce calme d’esprit inflexible qui fait sa force et peut la placer ainsi que la loi dont elle est l’interprète en dehors et au dessus des partis.

La justice, en effet, ce ne doit pas être le gouvernement qui se défend, ni même la société qui se venge ; ce doit être la raison elle-même qui intervient en tiers impartial et désintéressé entre l’offenseur et l’offensé, qui anime la loi morte pour lui prêter le discernement, la sagesse et l’équité.

Tel est-il le caractère de l’arrêt lancé contre M. Cabet !

 

Contrat Creative Commons

LODEL : Logiciel d'édition électronique