L'Echo de la Fabrique : 15 janvier 1832 - Numéro 12

NOUVELLES DIVERSES.

Notre industrie date de Louis XIV : Colbert devança l’Angleterre et jeta un immense éclat industriel sur les premières années de ce règne, où il y a tant à louer et tant à critiquer. Chassées par la révocation impolitique de l’édit de Nantes, les familles protestantes transportèrent en Angleterre les richesses dont leurs mains laborieuses commençaient à doter la France. Habiles à profiter de nos fautes, les Anglais développèrent ces germes de prospérité, et leurs manufactures, Manchester, Liverpool, Nothingham, Derby, Birmingham devinrent successivement commerçantes et riches.

Les efforts de Napoléon, pour créer à la France une industrie qui put rivaliser, surpasser même celle de l'Angleterre, ont été gigantesques. Son blocus continental fut l'idée autour de laquelle gravitaient sa politique et ses guerres. Nos fabriques florissaient, et les désastres de 1814 purent seuls arrêter l'essor qu'elles avaient pris. La restauration continua ce mouvement, mais avec mesquinerie, et sans nous ouvrir des débouchés, comme s'empressaient de le faire Canning et les ministères anglais, en reconnaissant les républiques américaines. Une grande déconsidération fut jetée ainsi sur notre politique et sur nos relations commerciales ; nous étions même en dissidence continuelle avec les Etats-Unis. Cependant nos produits s'aggloméraient.

Est-il juste maintenant d'attribuer à la révolution de 1830 la crise actuelle ? l'Angleterre, malgré l'activité prodigieuse de son commerce, n’y a-t-elle pas été plusieurs fois condamnée ? a-t-on oublié les briseurs de machines, les soulèvemens de 1823, les expatriations, la taxe des pauvres ? Reconnaissons que le mal est plus profond, qu'il faut l’étudier avec soin et y porter de prompts remèdes, non pas d'une main timide, mais avec l'énergie que réclament les circonstances.

D'après des relevés et des calculs d'une statistique exacte, le prix des objets de première nécessité est augmenté en des proportions qui ne répondent plus avec l'augmentation du salaire. Le prix des objets de luxe n'est plus même proportionnel avec celui des objets d'une consommation journalière, de sorte que la charge du pauvre s’est accrue quand celle du riche s'est allégée. Ces faits sont réels et constatés. Ils doivent absorber toute la sollicitude du pouvoir, toute les méditations de l’économiste et de l’écrivain qui s'appliquent aux études morales, car là aussi est la souffrance.
(Le Constitutionnel).

[6.2]Un écrit d'Alençon, sous la date du 4 janvier :

Des ouvriers en nombre considérable se sont portés sur la place d'Alençon : ils demandaient une augmentation de salaire. Il faut que vous sachiez que depuis quelque temps la ville occupe environ 250 malheureux, à des travaux d'assainissement ; mais qu'elle ne paie à la plupart que 1 franc, pour prix de la journée ; à d'autres que 75, et même que 30 centimes : c'est cette inégalité et cette insuffisance des salaires qui avaient donné lieu au rassemblement. M. Hommey Margantier, maire de notre ville, à la sagesse et à la fermeté duquel on ne peut donner trop d'éloges, est parvenu à faire retourner les mécontens à leurs travaux.

Dieu veuille que la paix règne long-temps parmi nous ! Mais j'ose à peine en concevoir l'espérance, tant est grande la misère.
(Le Mouvement).

- La perception de l'octroi de Rouen vient d'être modifiée dans un excellent esprit. Les denrées les plus communes ont été dégrevées : celles qui appartiennent à la consommation des classes aisées ont été augmentées. La viande de boucherie a subi une réduction de 11 c. par kilog. ; le poisson frais une réduction d'un cinquième. En revanche, la volaille, le gibier et les truffes, qui échappaient à tout droit d'entrée, par on ne sait quelle protection, sont légèrement taxés.

Nous voyons avec plaisir le journal des Débats applaudir à un dégrèvement en faveur des classes pauvres ; mais ce qui est bon à Rouen ne le serait-il pas également à Paris ? et si le principe en vertu duquel ce dégrèvement a été opéré est conçu dans un excellent esprit, pourquoi ne pas l'appliquer sur une échelle plus large ? Pourquoi ne pas soumettre à un impôt progressif tous les objets de luxe ?

Nous féliciterions nos magistrats, s'il leur venait dans la pensée d'adopter pour Lyon ce mode de perception. Notre ville plus que toute autre est grevée par les octrois, et la classe ouvrière seule supporte cette charge, car ce n'est pas le riche qui consomme les objets de première nécessité et tarifés aux portes. La volaillle ! le gibier! les truffes ! qu'on mette un droit d'octroi sur ces objets, ceux qui les consomment peuvent le supporter, et qu'on diminue l'entrée sur la viande de boucherie, afin que l'ouvrier puisse en acheter un peu.
(Note du Rédacteur de l’Echo de la Fabrique.)

- Les journaux de Paris ont annoncé que, sur les instances de l'honorable M. Ardaillon,1 député de l'arrondissement de St-Etienne, le Roi avait accordé la décoration de la légion d'honneur à MM. Richard-Chambovet, Bancel, de St-Chamond et Rubichon de Rive-de-Gier. M. Richard est le premier qui ait eu l'idée d'introduire dans ce pays, la fabrication des lacets, branche d'industrie qui depuis a pris une extension telle, que nous sommes en possession de fournir à la consommation d'une grande partie du globe. M. Bancel est l'inventeur du ruban-gaze, et il est le premier qui ait employé à la confection de ce tissu si généralement adopté aujourd'hui, la soie retordue toute teinte, et connue sous le nom de Marabout.
Stéphanois.2

- Il va paraître, dit-on, une Gazette du Clergé ; voici d'après le Mercure Ségusien, quels en seront les rédacteurs : un vicaire, un bedeau, un sacristain, deux sonneurs, un suisse et trois marguilliers. Sacristie !… quel journal !…

Notes de base de page numériques:

1 Riche industriel, Jacques-Marie Ardaillon fut député de la Loire (Saint-Chamond) de 1831 à 1842. Partisan résolu des idées libérales sous la Restauration il s’inscrivit constamment sous la Monarchie de Juillet dans le camp ministériel. Voir Adolphe Robert et Gaston Cougny, Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889, ouv. cit., tome I, p. 85.
2 Le Stéphanois : Journal de Saint-Etienne et de la Loire, dont le premier numéro fut publié en novembre 1828.

 

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