L'Echo de la Fabrique : 9 novembre 1833 - Numéro 3

Association commerciale d’échanges.

Dans l’état actuel des usages sociaux tels qu’ils sont établis (l’achat, la vente, le prêt), un homme qui fait le commerce ne fait autre chose qu’échanger des marchandises ou des travaux contre d’autres marchandises, ou d’autres travaux, en opérant les échanges moyennant l’intermédiaire de deux agens accrédités par les lois, les écus et les billets, avec lesquels on traite de deux manières : la vente au comptant et la vente à terme.

[2.1]Entre ces deux modes de commerce la différence est grande.

Dans la vente au comptant, il y a paiement immédiat et presque toujours bénéfice certain et par conséquent possibilité de rendre au travail les capitaux recouvrés, et d’entretenir ainsi la continuité du mouvement industriel (les ventes et les achats).

Dans la vente à terme, au contraire, le paiement est éloigné, la disponibilité des capitaux retardée, les bénéfices quelquefois compromis, et le capital lui-même très souvent perdu par tels accidens qui, dans l’intervalle, viennent ébranler la fortune de l’acheteur au détriment du vendeur.

Dans la première hypothèse, les détenteurs du numéraire exercent une véritable suzeraineté aussi avantageuse pour eux que désastreuse pour ceux sur qui ils l’exercent.

Dans la deuxième hypothèse, les acheteurs à terme paient des escomptes usuraires, achètent plus cher, vendent le plus souvent à meilleur marché, sont exposés aux protêts, aux remboursemens, aux faillites, deviennent la proie des huissiers, des avoués. Les détenteurs du numéraire, au contraire, perçoivent les escomptes et les usures, font les affaires sans presqu’aucun risque et avec des bénéfices certains ; la disponibilité de leurs capitaux abaisse pour eux le prix des denrées, et leur ouvre le champ des spéculations.

Il y a, en un mot, dans le monde commercial deux classes bien distinctes, celle qui exerce les vexations, celle qui les endure, celle qui perd, celle qui gagne, celle qui souffre et celle qui jouit.

Un tel discord, une telle incohérence, un pareil conflit dans les relations sociales, ne pouvaient demeurer plus long-temps inaperçus en présence d’un siècle de lumière et d’intelligence. L’exploitation de la misère publique était trop manifeste, il fallait donner un auxiliaire au numéraire qui est beaucoup trop stagnant pour les industriels ; il fallait anéantir l’éventualité que présentent les crédits, il fallait trouver le moyen de réduire toutes les affaires au comptant ; il fallait procurer un débouché rapide aux produits du sol et de l’industrie, et éviter qu’ils séjournassent en magasin après leur confectionnement, au grand détriment de ceux qui les produisent ou de ceux qui les détiennent.

Dans ce dernier cas, en effet, le producteur qui éprouve du retard à rentrer dans ses avances et qui cependant a besoin d’utiliser son temps en travaillant, se voit contraint d’user de son crédit pour se procurer les matières premières, nécessaires à son travail. Il paie son vendeur avec une obligation dont il espère réaliser le montant, et par contre-coup il se voit souvent obligé d’accepter de l’acheteur de ses produits, des effets dont il espère être payé.

Ce système d’espérance et de promesse, d’éventualité et de hasard, gagnant de proche en proche, donne naissance à une foule de combinaisons qui, en s’étayant mutuellement, forment une chaîne continue de surprises et de déceptions que la moindre commotion industrielle ou politique ébranle et désorganise.

Pour remédier à un état de choses aussi fâcheux et toujours renaissant, l’association commerciale échange l’une contre l’autre deux valeurs réelles (denrées, marchandises ou travaux), au lieu d’échanger une actualité (un produit) contre une promesse (billet).

Elle met enfin l’offre et la demande en association et en rapport à l’aide d’un nouvel instrument d’action (le papier ou bon d’échange) établissant entre la production et la consommation un mouvement de rotation perpétuelle. Ainsi cesseront peu à peu, par le secours puissant de ce simple et ingénieux mécanisme, la misère, les privations, le désœuvrement d’une partie de la population, les catastrophes, les faillites qui se succèdent sans relâche, dont la raison seule se trouve dans l’insuffisance de la circulation du numéraire, l’éventualité des crédits, et la routine qui préside encore à nos relations commerciales.

Un coup-d’œil rapide que nous jetterons encore sur les causes principales de désordres et de perturbations qui agitent convulsivement l’ordre social, ainsi que sur les avantages immenses que le développement du système d’échange composé peut procurer aux capitalistes, [2.2]aux propriétaires et aux industriels, fera sentir, nous l’espérons, la vérité de cet énoncé, et disposera les esprits à apprécier l’importance et l’utilité du système pratique d’échanges et d’association que nous réalisons à Lyon ainsi que dans toutes les villes de France et de l’étranger.

laget.

 

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